Club Italie-France: Intervista Nathalie Iannetta - Opinion Leader

Nathalie Iannetta

Club Italie-France : Lors d’un beau discours sur l’importance du sport vous avez souligné que la culture sportive, ça vaut autant que la culture mathématique, littéraire ou philosophique. Pourquoi pensez-vous que le sport soit trop souvent bafoué en France ? Pourriez-vous nous citer un pays « vertueux » dans lequel culture sportive et intellectuelle sont considérées équivalentes ?

Nathalie Iannetta : Plus qu’un discours, c’était un cri du cœur. Nous étions en train de commenter le retour de Russie de l’équipe de France de football championne du monde de football. Face à ce public massé sur les Champs Élysées, on semblait s’extasier sur la ferveur populaire, les valeurs du sport, sa place dans notre société. Or, tous ceux qui travaillent sur les sujets liés au sport le savent bien : ça, ce sont des postures. Bullshit disent les anglais. Nous, on dirait cazzate ! Je ne pouvais pas laisser dire que le sport était une valeur forte en France parce que c’est faux ! On valorise les sportifs une fois tous les quatre ans, surtout quand ils gagnent, le reste du temps, on les oublie. Dès l’école le sport est mis de côté au profit des matières dites intellectuelles, dans le supérieur c’est bien simple : il disparait totalement. Culturellement, les intellectuels ont gagné la bataille. Les sportifs en France sont comme les professionnels des métiers manuels : méprisés. Les pays anglo saxons en général ont une tout autre approche et n’opposent pas autant que nous les qualités intellectuelles et les qualités sportives.

Club Italie-France : Comment est née votre passion pour le football et le sport en général ? Êtes-vous également sportive dans votre vie quotidienne ?

Nathalie Iannetta : Cette passion, c’est un peu comme une histoire d’amour : ça ne s’explique pas tellement … Disons que dans ma famille, on parle beaucoup de foot, de politique et de cinéma. Un peu comme une base d’éducation. Un trousseau en quelque sorte. Mon Oncle du coté de maman supportait la Juve. Chez nous, la vieille dame est une personne de la famille. On l’aime, malgré ses bas, ses défauts et quel que soient les résultats. Les autres sports, c’est plutôt l’affaire du côté paternel, les Iannetta. Mon grand-père aimait la boxe, le rugby, et le tour de France. Mon père a suivi. Aujourd’hui encore, il regarde tout ce qui de près ou de loin, est une compétition sportive. Ma mère parle d’une maladie incurable…

Club Italie-France : Vous avez été la conseillère au sport du Président de la République François Hollande pendant deux ans sans être une militante politique à la base. Sans avoir mené d’activité politique antérieure, cette mission a-t-elle été difficile ? Quelles leçons tirer de l’expérience en tant que Conseillère du Président de la République ? Quelles valeurs avez-vous essayé de mettre en œuvre lors de votre travail ?

Nathalie Iannetta : Ne pas appartenir à ce milieu, ignorer tous les codes, y compris ceux du militantisme étudiant, méconnaitre les rouages de l’État, tout cela m’a demandé beaucoup de travail et d’effort. Une sorte de mise à niveau. Et pourtant, je sais très bien que c’est cela qui m’a sauvé. Ce monde est d’une violence inouïe. Les femmes et les hommes qui le composent ont une intelligence hors norme. Mais leurs pensées complexes obéissent parfois à des règles qui n’étaient pas les miennes. Plutôt que de faire semblant d’être des leurs, j’ai ostensiblement assumé d’être à part. Mon mode de fonctionnement, un peu bravache parfois, iconoclaste souvent aurait pu me pénaliser. Au lieu de cela, mais ça je ne le dois qu’à la personnalité du Président Hollande et de quelques conseillers qui m’avaient adoptée, cette pensée hors des clous m’a permis de conserver ma liberté. Jamais je n’ai agi contre mes propres convictions. Certes, j’ai fait des concessions, mais sans jamais me compromettre. J’en ai gardé, outre l’aventure humaine exceptionnelle, une réelle volonté de continuer à servir les causes auxquelles je crois. J’avoue qu’en tant que citoyenne engagée, je pose un regard un peu différent aujourd’hui sur les décisions politiques. Je les lis différemment. Je me garde des célèbres « il faut que » et « il y a qu’à » parce que je sais combien notre État, malgré ses immenses qualités, est lourd, bureaucratique, et pour tout dire parfois inefficace. L’administration joue un rôle central en France. Parfois, il faut le dire, au mépris des décisions politiques. Par ailleurs, la centralisation est insupportable aujourd’hui. Tous les citoyens le savent : on manque d’agilité. Et la crise que nous traversons a mis en lumière de manière évidente cette lourdeur et ce manque de réactivité. La France a d’immenses atouts. Souvent plus qu’elle ne veut bien l’admettre d’ailleurs. Mais elle a du mal à changer. Il va nous falloir être solidaires pour dépasser la crise qui nous frappe. Parce que, ne nous y trompons pas : l’État, c’est nous. On ne change jamais un système si les individus eux-mêmes s’y refusent. C’est le grand défi je crois qui nous attend.

Club Italie-France : Iannetta, un nom de famille italien. Que reste-t-il à Nathalie aujourd’hui de ses origines italiennes ? La dernière coupe du Monde sans l’Italie a dû être étrange pour vous …

Nathalie Iannetta : Je suis italienne par mon nom de famille Iannetta du coté de mon père, mais aussi par ma mère qui est arrivée en France à l’adolescence. Je suis comme tous les enfants d’immigrés : très fière de mon pays, la France, mais aussi de celui de mes parents, mes grands-parents. Mon « italianité » est entière. Dans ma vision optimiste de la vie qui n’oublie jamais que tout est tragique au fond : c’est bien pour ça qu’il faut vivre et être heureux. J’aime beaucoup la phrase de Cocteau qui qualifie les italiens de français de bonne humeur : ça me ressemble au fond ! Le sens de la famille, la transmission, la convivialité, le rire, le cinéma, le foot… tout ça m’anime passionnément …

En 2018 en effet, c’était un peu spécial de vivre le plus grand évènement sportif sans la squadra azzura … Les grandes nations de foot traversent elles aussi des passages à vide. C’est évidemment ce qu’a vécu l’Italie. Elle a du talent, elle va revenir à la table des grands. Mais elle ne pourra pas faire l’économie d’un reset global de sa formation, de son modèle et des valeurs aussi. Certains cris racistes dans certains stades sont insupportables… Il faut se regarder en face dans ces moments-là. Même si c’est douloureux.

Club Italie-France : Le coronavirus a frappé en premier lieu le personnel de santé et les PME. Mais il a impacté aussi le sport. Quels sont les leçons que le sport peut tirer de cette pandémie ? Concernant Paris 2024, pensez-vous que la pandémie imposera un changement du modèle des Jeux ?

Nathalie Iannetta : Le sport doit jouer un rôle central dans la relance du pays. Économiquement et psychologiquement. Au même titre que la Culture, il sera un rouage essentiel. Encore faut-il qu’on s’y intéresse autrement que comme un loisir ou comme un spectacle. Le sport, encore une fois, doit être placé au cœur de nos sociétés au même titre que la culture parce que comme elle, il définit ce que nous sommes. Les valeurs d’émancipation, d’égalité, de dépassement de soi et de solidarité, ce ne sont pas des mots vains ou des incantations. Ils sont le ciment de nos êtres collectifs. Par ailleurs, à l’aune de cette crise du Covid, qu’avons-nous compris ? Que les gens fragiles, souffrant de maladie que la pratique sportive aide pourtant à dépasser, étaient les plus violemment touchés. On fait quoi alors ? On continue de se dire que le sport, dans sa pratique est accessoire ? Quant au spectacle sportif, il participe de l’humeur, de la fête, de la vie en fait ! J’ai été très frappée par un argument employé par les autorités allemandes au moment où elles ont accepté que la Bundesliga reprenne ses droits : elles ont parlé de l’importance que cela allait avoir sur le moral des allemands. Qui a parlé de ça en France ? Personne. Et pourtant, cela me semble un axe essentiel de reconquête de nos vies après cette crise sanitaire. Au même titre que les bars, les cinémas, les festivals, la vie se joue dans les stades… Mais vous voyez : un pays de sport pense spontanément à ces valeurs-là. Et ce n’est pas le cas chez nous…

Club Italie-France : Lors du mondial de football féminin, vous avez déclaré : « Il n’y a pas de football féminin, il y a le football et c’est ce que j’aime ». Pourtant aujourd’hui la plupart des gens font encore la différence. L’enjeux sociétal qu’il y a derrière est peut-être celui de l’empowerement féminin. Qu’en pensez-vous ?

Nathalie Iannetta : Le sport n’a pas de genre. Seules les compétitions organisées en ont un. La coupe du monde peut être féminine ou masculine. Mais pas le sport ! Les règles sont les mêmes. Voilà pourquoi je n’aime pas ce terme (et c’est valable pour les autres sports collectifs comme le rugby ou le hand par exemple). Je suis devenue militante féministe par nécessité. En avançant dans ma vie professionnelle, j’ai vite compris qu’il était plus compliqué pour les femmes de faire carrière à égalité avec les hommes. Et moi, qui avançais sans encombre, j’ai réalisé que j’étais une exception. Ce qui est insupportable en fait. Moi, mon combat, c’est celui de l’égalité et de la mixité. Je ne veux pas mettre des femmes à la place des hommes. Je veux que chacun ait sa place, c’est très différent. Je sais que lorsque des hommes et des femmes travaillent ensemble, les décisions sont meilleures, les objectifs différents, les ambitions bien plus grandes et bien plus riches. Il est urgent que les femmes prennent la place qui doit être la leur dans cette société. Et qu’elles soient reconnues à leur juste valeur. Et pour que ça avance, oui, on a besoin d’exemples, de symboles. Et les figures dans des sports aussi populaires que le foot, oui, ça peut permettre d’avancer plus vite. Le danger, mais les femmes le savent bien, c’est d’être instrumentalisées et de servir d’alibi. Un modèle, c’est fait pour être démultiplié ! Et c’est le nombre qui fait la force. Toujours. Partout. 

Club Italie-France : Compte tenu de vos origines italiennes, aimeriez-vous investir dans des projets de coopération entre la France et l’Italie, dans le sport ou d’autres domaines ?

Nathalie Iannetta : Comme je suis souvent très honnête, je vais vous dire qu’honnêtement, je n’y avais jamais pensé et que c’est votre sollicitation qui m’y fait penser. C’est vrai que je devrais m’intéresser à ces ponts à créer entre mes deux pays via le sport pour développer des projets de collaboration. Merci de m’avoir mis une nouvelle idée en tête. On y va ensemble ?

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Club Italie France - Opinion Leader Nathalie Iannetta
Ancienne journaliste de Canal + et Conseillère jeunesse et sport du président de la République François Hollande, Nathalie Iannetta est aujourd’hui consultante et associée chez 2017 Communication et stratégie
Daisy Boscolo Marchi - Club Italie-France - Manager
Interview réalisée par
Daisy Boscolo Marchi