Club Italie-France: Intervista Marc Lazar - 2018

Marc Lazar

“Mon idée, c’est que nos deux grands modèles d’intégration en Europe sont en crise aujourd’hui ; le modèle d’intégration Républicaine à la française et le modèle communautariste.”

Club Italie-France : Marc Lazar, parlons d’actualité. En ce moment, en France et dans toute l’Europe, on discute beaucoup de la question de l’immigration. La France, depuis la fin du XIXème siècle, a accueilli de nombreuses vagues d’immigration. Comment se sont transformés dans le temps, d’une part les processus d’intégration et, de l’autre, les réactions de l’opinion publique par rapport à ce phénomène ? Les derniers attentats, l’augmentation des flux de migrants, la crise économique et sociale et la montée de l’extrême droite tous ces facteurs comment influencent-ils la réponse de la France ?

Marc Lazar : Oui, c’est vrai la France a été et reste un pays d’immigration. Elle a toujours connu des vagues d’immigration ; c’est un pays avec une composante d’immigrés extrêmement importante, qui la singularise par rapport à l’Italie où le phénomène d’immigration est plus récent. Ces vagues d’immigration sont nées au XIXème siècle pour des raisons économiques, mais aussi parce que la France a été obsédée et demeure obsédée par son déclin démographique. Et par conséquent l’immigration, avec une politique nataliste, était un moyen et est toujours un moyen de maintenir un taux de natalité élevé; à la différence de l’Italie et de l’Allemagne qui ont les taux les plus bas. Ces arrivées d’immigrés ne se sont pas toujours bien passées. Par exemple, les Italiens ont parfois été victimes de xénophobie et de racisme ; l’épisode le plus tristement fameux est celui d’Aigues-Mortes en 1893, où plusieurs ouvriers italiens ont été assassinés par des travailleurs français. L’intégration n’a jamais été un long fleuve tranquille. Mais globalement, l’apport de l’immigration est une réalité considérable. Il y a quasiment un Français sur quatre qui a des ascendants étrangers dans sa famille.

L’intégration se réalisait selon un modèle qui consistait à respecter les règles républicaines dans l’espace public et disposer d’une grande liberté dans la sphère privée. Ce modèle a fonctionné, malgré des épisodes de xénophobie et de racisme, jusque dans les années 1970-1980. Ensuite, les vagues d’immigration n’ont plus été les mêmes. Beaucoup plus d’immigrés sont venus du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne et il y a certainement eu des problèmes liés à cette immigration-là dont les modes de comportement, les traditions culturelles, les rapports familiaux rendaient et rendent encore plus compliqué le processus d’intégration. D’autant que la situation économique a profondément changé et que les possibilités d’intégration et de promotion dans la société n’ont plus été les mêmes que dans le passé. Par ailleurs, une minorité de ces immigrés, étrangers ou Français, de confession musulmane ont amorcé une radicalisation religieuse qui est passée par une contestation de la République et de la laïcité. Enfin, le grand instrument de l’intégration républicaine en France a été l’école, la fameuse école Républicaine, un peu mythifiée, un peu idéalisée sans doute, mais qui constituait un puissant vecteur d’intégration. Or cette école-là, est aussi entrée en crise. Par conséquent, on en est arrivé à une situation où le modèle d’intégration républicaine patine. Sur ces sujets, on peut distinguer maintenant trois grandes écoles de pensée en France. La première entend revenir au modèle d’intégration du passé. La deuxième veut aménager ce modèle. Enfin, les communautaristes voudraient rompre avec le modèle républicain d’intégration et faire reconnaître les différences des minorités. Ce débat est violent. Mon idée, c’est que nos deux grands modèles d’intégration en Europe sont en crise aujourd’hui ; le modèle d’intégration Républicaine à la française et le modèle communautariste.

Club Italie-France : Y a-t-il selon vous de nouveaux modèles d’intégration à prendre en considération ?

Marc Lazar : Je n’ai pas de solution. L’intégration des immigrés est véritablement à repenser et à inventer, avec une limite indépassable en France : le respect de la République et de la laïcité car elles sont au fondement de la France moderne. C’est difficile d’aborder ce sujet de manière sereine parce que la question de l’immigration est instrumentalisée par le Front National qui est puissant. Dans la situation économique et sociale dans laquelle nous sommes, il est devenu extraordinairement difficile de soutenir une position nuancée et équilibrée. L’immigration est incontestablement aujourd’hui l’un des grands enjeux de la vie politique et sociale française et elle détermine en partie l’élection présidentielle de 2017. C’est aussi l’une des grandes questions de l’Union Européenne d’autant plus que justement, dans beaucoup de pays, et notamment en Italie, la chute démographique est telle que s’il n’y avait pas l’immigration ce serait encore pire.

Club Italie-France : Comment voyez-vous le démantèlement du campement migrants à Calais au mois d’Octobre 2016 ? Selon vous, y a –t-il une réelle stratégie pour essayer de résoudre cette situation d’incertitude pour les sorts à la fois de ces milliers de personnes qui fuient la guerre et la misère et de l’Europe ?

Marc Lazar : On a démantelé le camp pour des raisons de sécurité et parce qu’on approchait d’une période électorale. On a nullement réglé le problème de fond et d’ailleurs les migrants reviennent sur place. On a réparti une partie de ces populations dans différents centres, pour éviter la concentration des migrants mais pour le moment c’est une politique à courte vue puisque l’Italie, d’abord, la Grèce ensuite, l’Europe dans sa totalité, vont être de plus en plus soumises à des vagues de migrants qui vont arriver essentiellement de l’Afrique et du Moyen Orient. L’Afrique parce qu’une partie de ce continent connaît certes un grand développement mais une autre partie est dans une situation très difficile avec souvent des guerres civiles. Quant au Moyen-Orient, il est en feu. Il faut une politique européenne sur les migrants. Son absence s’avère dramatique parce que cela provoque des réactions de peur, d’inquiétude, compréhensibles d’ailleurs, du fait d’une conjoncture économique et sociale tendue dans beaucoup de pays européens. Cela dit, les manifestations d’hostilité à l’encontre des migrants m’interpellent. En effet il y a vraiment un grand débat d’après moi qui domine ce début de XXIème siècle : est-ce qu’on a encore des valeurs humanistes, celles qui fondent notre civilisation européenne ? Il est des fois où les peuples se replient beaucoup sur eux et la peur, qui est très mauvaise conseillère, aboutit à des situations de rejets inquiétantes. Bien sûr je comprends les craintes des Français confrontés à l’afflux des migrants, mais en même temps, il faut quand même se poser une question : « qu’est-ce qu’on fait par rapport à des gens qui souffrent, qui n’ont rien à manger et qui sont victimes de guerres épouvantables ? ». Je pense qu’il y a une vraie bataille culturelle à mener aujourd’hui, que peu de politiques sont capables d’engager parce qu’ils ont peur de perdre les élections et, comme disait De Gasperi, « l’homme politique pense à la prochaine élection, l’homme d’Etat pense aux prochaines générations ». Or, on n’en a pas beaucoup, d’hommes d’Etat actuellement en Europe.

“A mon avis, l’Italie, loin de constituer une anomalie, est le pays qui a expérimenté le premier un certain nombre de grandes mutations de nos démocraties.” 

Club Italie-France : Vous êtes une source d’informations politiques, sociologiques et culturelles d’exception. Nous voudrions commencer par vous demander du présent, du moment que sont en train de vivre la France et l’Italie. Depuis quelques années, en effet, soit la France que l’Italie vivent une situation de crise. Quelles sont selon vous les raisons à l’origine de cette crise? Et comment ces deux pays sont-ils en train de lui faire face ?

Marc Lazar : Je pense qu’il y a des points convergents et des différences entre nos deux pays. La France vit une situation de grave crise économique et politique qui a des points communs avec l’Italie mais elle se confronte à des problèmes spécifiques. Par exemple, cette question de l’insertion des immigrés et surtout le fait qu’elle a beaucoup de mal à accepter qu’elle n’est plus une grande puissance, et là le poids de l’histoire joue énormément. La France a été une très grande puissance qui a dominé le monde, par sa langue, par sa culture, par cet événement-monde que fut la Révolution française, par sa puissance économique, par sa puissance militaire. Cette image d’une France rayonnante et conquérante est encore dans la tête de beaucoup de Français. En plus, le Général De Gaulle après la Seconde Guerre Mondiale a alimenté cette idée de la Grandeur Française. Mais depuis des décennies maintenant, la France n’est plus une grande puissance dans un monde où pèsent beaucoup plus les Etats-Unis, plus récemment le Japon, la Chine, l’Inde etc… Nous sommes une nation moyenne, un peuple qui n’est rien par rapport aux grandes multitudes démographiques d’Asie, d’Amérique et d’Afrique, et nous n’avons plus le même rayonnement : on parle moins le français malgré un énorme travail des organismes en charge de la francophonie. Tout n’est pas perdu. La France dispose encore de réels atouts : économiques, technologiques, culturels. Elle attire toujours. Mais le recul indéniable de sa position dans le monde travaille profondément les Français. À cet égard, il y a deux positions. Certains pensent que l’on peut revenir à l’âge d’or de la France. D’autres, et j’en fais partie, estiment que la France reste un très grand pays, mais qu’il faut s’adapter au monde d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, la France vit une crise anthropologique profonde.

Ensuite, en ce qui concerne les points communs avec l’Italie, moi j’insisterais sur la dimension politique. A mon avis, l’Italie, loin de constituer une anomalie, est le pays qui a expérimenté le premier un certain nombre de grandes mutations de nos démocraties. Il y a eu l’écroulement du système des partis dans les années 1990, l’émergence de nouvelles formations qu’on appelle, pour aller vite, populistes – la Ligue du Nord par exemple, et dans un genre très différent, depuis les années 2000, le Mouvement 5 étoiles –, l’ascension de Silvio Berlusconi qui représente bien sûr une singularité italienne mais quand on voit ce qui se passe avec Donald Trump aux Etats-Unis, on se dit que d’une certaine façon Silvio Berlusconi était le précurseur d’un populisme d’entrepreneur où le rôle du leader s’avère essentiel. Il Cavaliere a révolutionné la communication politique grâce à ses télévisions et il a « surfé » sur la grande vague de rejet de la politique, ce que l’on appelle l’antipolitique. J’avais souvent utilisé pour l’Italie l’expression de « laboratoire » politique de l’Europe. Je la nuance désormais en employant plutôt le terme de « sismographe ». L’Italie enregistre la première les secousses telluriques qui ébranlent nos systèmes de partis et nos démocraties. Regardez comment la France est affectée à son tour par ces transformations profondes, les deux partis de gouvernement étant, pour le moment du moins, dans une situation extrêmement périlleuse, pendant que s’affirment les candidatures, si différentes entre elles, de Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

Sur le plan économique, les différences entre nos deux pays sont notables. L’Italie, pays de petites et moyennes entreprises, exporte beaucoup plus qu’il n’importe, alors que la France est plutôt un pays de grands groupes présent dans le monde mais qui affiche un fort déficit commercial. Donc la comparaison est difficile. En plus l’Italie, tout en ayant une longue histoire, n’a pas connu la construction d’un Etat fort, pluriséculaire, caractéristique essentielle de la France. Un autre point commun, cela dit, mérite d’être souligné. Nos deux pays s’interrogent sur ce que signifie la nation. Au final se demande-t-on : qu’est-ce que c’est qu’être Italien ? Ou qu’est-ce que c’est qu’être Français ? Alors même que l’Italie et la France ont deux histoires totalement différentes, en France c’est l’Etat qui crée la Nation, en Italie c’est la Nation qui crée l’Etat à la fin du XIXème siècle. Pourquoi alors la montée en puissance de cette préoccupation de nature identitaire ? A cause de la mondialisation, de l’européisation ou encore de l’immigration. Cette question identitaire est également fortement présente dans le débat politique car elle se combine avec l’interrogation sur l’Europe.

Club Italie-France : Le climat en France, après les attentats, n’a pas facilité la reprise de l’économie. Les rues des grandes villes sont patrouillées par la police et l’armée, les touristes ont sensiblement diminué depuis les attentats de novembre dernier. Que jugeriez-vous bon de faire pour redonner confiance aux touristes et aux investisseurs étrangers ?

Marc Lazar : Oui, les attentats ont frappé la France très durement. En 18 mois, la France a eu un nombre de morts équivalent à près de 45% de tous les morts du terrorisme italien rouge et noir en 18 ans. C’est dire le choc que la France a subi ! Et ce choc a eu comme effet, entre autre, une baisse de la fréquentation touristique. Il est nécessaire d’assurer la sécurité des citoyens mais avec le risque de restreindre un peu les libertés ; du coup, les protestations se multiplient et nombre de personnes expliquent que la démocratie est en danger. C’est le piège classique du terrorisme pour les démocraties. Ce qui met les Français sous stress, c’est le fait de savoir qu’il est impossible d’empêcher un kamikaze de déclencher sa ceinture dans la rue. Ce terrorisme-là est neuf en Europe et très difficile à gérer. L’Etat essaye d’assurer la sécurité, les services secrets qui avaient manifestement beaucoup de retard, ont – semble-t-il – démantelé pas mal de réseaux terroristes depuis un an. Cela malheureusement n’empêche pas la possibilité d’autres attentats. Assurer la sécurité et réinstaurer la confiance sont les deux passages fondamentaux, mais ça va être long.

Club Italie-France : Maintenant, si on se concentre sur la réalité transalpine et si on retourne en arrière dans le temps, on sait que pour tout le monde la France représente la terre où a eu lieu la Révolution Française, le pays dont la devise est Liberté, Égalité, Fraternité. Comment s’est développé dans le temps ce concept social et culturel et, selon vous, est-il encore valide aujourd’hui ?

Marc Lazar : Vous avez raison de rappeler que la Révolution française a attiré beaucoup de gens, mais il ne faut pas oublier qu’elle en a révulsé d’autres. Toute la pensée contre-révolutionnaire s’est construite contre les idéaux de la France. La Révolution, la République et la laïcité ont constitué un grand mythe mobilisant les esprits, les opinions et les passions tout comme la devise Liberté, Égalité, Fraternité inscrite sur nos édifices publics. Ces derniers temps, après les attentats djihadistes, les autorités ont essayé de réactiver ce sentiment républicain. De même, à l’occasion de l’élection présidentielle, nombre de candidats se réfèrent aux valeurs républicaines. C’est un élément majeur de notre ADN, de notre patrimoine politique. La République, fondée sur le libre-arbitre, a des aspects démocratiques et émancipateurs. Mais comme le grand historien François Furet l’avait démontré, il n’y a pas seulement cet aspect magnifique de la République, il existe aussi un aspect illibéral. Ce n’était pas très facile, par exemple, d’être catholique en France au début du XXème siècle, au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les catholiques qui étaient quand même encore très puissants à l’époque en France ont subi les foudres de l’Etat républicain et de la laïcité. La France républicaine a pu être intransigeante. Il faut aujouter qu’aujourd’hui, pour beaucoup de Français, l’idée républicaine ne signifie plus grand chose. Liberté oui, Egalité et Fraternité ça devient un problème. Beaucoup de Français vivent dans des territoires qui échappent en partie à l’autorité et aux services de la République. Beaucoup ne voient plus d’opportunités de progression dans la société et ne se sentent pas intégrés dans la République. A mon avis, l’idée républicaine reste toujours valide – c’est ce qui a fait effectivement la grandeur de la France – mais à condition qu’il y ait encore plus de liberté, plus de capacité d’intégration des populations qui aujourd’hui se sentent en marge de cette République, plus d’opportunités pour l’égalité qui ne signifie pas l’égalitarisme.

L’inégalité me semble donc être un problème fondamental de la société du XXIème siècle en France comme ailleurs.”

Club Italie-France : Comment pouvez-vous décrire la société française du XXIème siècle? Est-il sensé aujourd’hui de retourner à parler de lutte de classe, comme avait fait Marx à la fin du XIXème siècle ?

Marc Lazar : La France enregistre des inégalités profondes qui ne se résument pas à la version marxiste de la lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie parce que, justement, la bourgeoisie a beaucoup changé et que le terme « prolétariat » ne correspond plus à la réalité sociale. La classe ouvrière existe toujours mais ce n’est plus du tout la même, elle s’est beaucoup transformée. Ces inégalités croissantes sont multiples : sociales, d’instruction (la variable de l’éducation est en effet fondamentale, entre ceux qui ont fait des études supérieures et ceux qui n’en ont pas fait), inégalités entre hommes et femmes (loin d’être résolues, même s’il y a eu des progrès), inégalités générationnelles, territoriales, entre nationaux et étrangers. Et ce creusement des inégalités a des conséquences considérables, notamment sur le vivre-ensemble, sur la politique, sur le rapport entre populations et élites, marqué aujourd’hui par une grande méfiance réciproque. L’inégalité me semble donc être un problème fondamental de la société du XXIème siècle en France comme ailleurs.

Club Italie-France : Concentrons-nous maintenant sur la culture politique française : quelles sont les différences par rapport aux cultures politiques d’autres pays?

Marc Lazar : Je pense que la culture politique française est caractérisée par deux traits que l’on ne retrouve pas dans les autres cultures politiques européennes. Le premier point fondamental est l’idée de la rupture. La France est un pays qui ne conçoit le changement que par la rupture radicale. C’est le principe de la Révolution Française et pendant longtemps ça a abouti à nier toute valeur au réformisme. Le seul changement possible était le changement révolutionnaire. Cela a beaucoup influencé la Gauche mais ça a influencé, par effet de réverbération, la Droite. Donc l’idée de la rupture radicale a été très forte et le demeure en un certain sens. Toutefois, depuis des décennies, cela est en train de s’atténuer et le grand mot est devenu la « réforme » ; mais il y a toujours l’idée que la réforme doit passer par de grands changements et non pas par des mesures graduelles.
Le deuxième trait tient à la puissance de l’Etat. Même si cet Etat a beaucoup changé, nous sommes dans un pays avec un Etat fort. Les Français attendent beaucoup de l’Etat. Quand il y a un problème, on se tourne en général vers l’Etat, on attend une réponse de l’Etat. Tout le contraire de l’Italie où il y a historiquement une défiance à l’égard de l’Etat et où on se débrouille soi-même avant tout. Notre culture politique est vraiment liée à ces deux aspects. Et quand la France pense l’Europe, elle pense à ce modèle, donc la rupture et le modèle étatique. La France avait l’idée que la bonne Europe serait en quelque sorte le modèle de la France étendu aux autres pays. Cela est devenu impossible dans l’Union européenne actuelle. Et la France a du mal à repenser son projet européen.

“La majorité de notre classe politique est une classe politique de fonctionnaires et donc il y a un manque de représentativité de la société et un manque de connaissances des réalités autres que celles de la fonction publique.”

Club Italie-France : Combien compte aujourd’hui le parcours de formation des cadres et de la classe politique française ? Nous parlons naturellement du parcours que l’on fait, généralement, de Sciences Po à l’ENA (École Nationale d’Administration). Selon vous, est-ce encore un bon parcours ou bien est-ce qu’il crée une forme d’élitisme qui n’est pas bien vu par les français?

Marc Lazar : Ce fameux cursus de l’homme politique français s’est mis en place à partir de 1945, donc c’est assez récent. Si l’on simplifie beaucoup, il s’agissait un élève d’une bonne famille française, issu de la bourgeoisie moyenne, qui faisait Sciences Po, préparait ensuite l’Ecole Nationale d’Administration, rentrait dans un cabinet ministériel et ensuite essayait d’obtenir un mandat électif, puis devenait ministre, voire éventuellement Président de la République. Ça c’était le circuit classique –caricatural- mais qui a fonctionné. L’avantage ? Ce responsable politique disposait d’une bonne formation. L’inconvénient ? Il ne connaissait souvent rien de la réalité de la société française et parfois même du monde. Aujourd’hui, il semble que le modèle change. Notamment à Gauche. Les dirigeants du Parti socialiste par exemple sont au départ des jeunes gens qui font beaucoup de militantisme, syndical ou politique, ne finissent pas leurs études et vont trouver un travail directement dans la politique, comme attaché parlementaire ou assistant d’un responsable politique ; puis ils se font élire, montent dans l’appareil de parti et deviennent parfois ministres, par exemple Manuel Valls et Benoît Hamon. Cela dit, je crois qu’au-delà de ces deux grands parcours, il y a un gros problème. C’est-à-dire que la majorité de notre classe politique est une classe politique de fonctionnaires et donc il y a un manque de représentativité de la société et un manque de connaissances des réalités autres que celles de la fonction publique. Il nous faut repenser la composition, la sélection et les compétences de notre classe politique. Cela devient une urgence démocratique.

Club Italie-France : Quel est le rôle de la Culture dans la société française d’aujourd’hui ? L’accès apparemment plus démocratique que l’on peut avoir aujourd’hui, grâce aussi à l’avènement d’Internet, des programmes télévisés, a-t-il crée selon vous une amélioration ou plutôt une confusion au sein de la société ?

Marc Lazar : C’est vrai qu’en France on fait beaucoup de politique culturelle. On a un Ministère de la Culture qui a un budget relativement important. Il existe une multitude de festivals culturels etc… et évidemment, internet a ouvert des potentialités considérables. Toutefois, la sociologie a pointé les limites de la démocratisation d’accès à la culture réelle. Mais ce n’est pas une question propre à la France : cela est vrai, je crois, dans tous les pays. C’est vrai que la France est un pays où la culture occupe une très grande place, et surtout où les intellectuels, historiquement, ont une fonction importante en France. Ils dialoguent avec le pouvoir, ils le critiquent. La France reste donc un pays avec une grande culture, un point en commun avec l’Italie.

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1 Octobre

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Historien, Sociologue
Professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po Paris et à l'Université LUISS de Rome.
Chiara Casamenti - Club Italie-France
Interview réalisée par
Chiara Casamenti