Club Italie-France: Intervista Jean-Michel Guenassia - 2019

Jean-Michel Guenassia

Club Italie-France : Depuis “Cent Millions”, en passant par votre premier roman “Le Club des Incorrigibles Optimistes” à votre dernière ouvrage “La Valse des arbres et du Ciel”, vous êtes sans douter un auteur polyvalent, capable de jouer avec les genres littéraires et de les restituer avec une certaine acuité. Croyez-vous qu’à ce jour, la polyvalence, le multitasking dans chaque domaine de la vie soit une qualité primordiale ?

Jean-MIchel Guenassia : J’aime changer, à chaque livre, de thèmes, de style, d’époque. Je n’ai pas envie de refaire ce que j’ai fait. J’ai envie d’explorer de nouveaux territoires littéraires, inconnus pour moi, me mettre en danger, prendre des risques. J’aurais pu écrire la suite du Club qui a été un grand succès. J’ai préféré renoncer à cette idée pour aller dans une autre direction. Il est possible que cela déroute certains lecteurs qui ont envie de retrouver le livre qu’ils ont aimé. Mais je préfère aller vers ce qui m’attire vraiment plutôt que de suivre des critères éditoriaux.

Club Italie-France : Vous avez travaillé pendant six ans à la rédaction de votre premier roman alors que vous étiez scénariste. Vous avez quitté par la suite la profession. En ces temps de crises économiques répandues, comment interprétez-vous le choix d’abandonner un travail sûr pour suivre ses rêves ou ses désirs, en allant potentiellement grossir les rangs des métiers dits « précaires » ?

Jean-MIchel Guenassia :Je ne me suis pas trop posé la question. J’avais renoncé à mon métier d’avocat pour devenir scénariste, puis à ce dernier pour écrire des romans. J’ai eu la chance que cela marche à chaque fois. Même si ce n’est pas facile tous les jours, qu’il y a des moments compliqués à vivre, je fais ce que je veux, et je ne regrette pas d’avoir fait ces choix.

Club Italie-France : Soit votre roman se déroule uniquement à Paris ou soit Paris est une des villes dans laquelle l’action de vos histoires évolue : la capitale française semble être incontournable dans votre narration. Qu’est-ce que vous aimez dans la ville de Paris et que vous inspire-t-elle ? Comment jugez-vous Paris dans sa contemporanéité ; dans quelles mesures vous la valorisez et quels points de divergences observez-vous ?

Jean-Michel Guenassia :J’ai quasiment vécu toute ma vie à Paris. C’est une ville que je connais bien. C’était normal que ce roman se déroule dans cette ville. Je dis souvent que le personnage principal du Club est le jardin du Luxembourg. Tout le roman tourne autour. On ne sort pas de ces quartiers de la rive gauche. La ville a changé, bien sûr, certains quartiers ont du mal à résister à la marchandisation, Saint Germain des près est devenu une galerie commerciale de luxe qui n’a rien à voir avec ce qui faisait son charme, mais autour on retrouve l’essentiel, et on a toujours autant de plaisir à y flâner et à y vivre. Mais dans Trompe-la-mort, Paris a disparu. L’action se déroule entre New-Delhi et Londres.

“Je crois aussi que l’Histoire ne se répète pas. Ce que nous vivons aujourd’hui, n’a rien à voir avec ce que nos parents ont vécu, et leur expérience nous est inutile.”

Club Italie-France : L’Histoire, avec un grand H est le personnage central de vos romans. Pensez-vous que l’Histoire vue par un écrivain apporte une contribution fondamentale liée à l’évolution de la société, en enseignant à ne pas répéter les mêmes erreurs et à regarder le futur à travers le spectre du passé ? Quelles sont les erreurs sur lesquelles, à votre avis, la société moderne devrait être mise en garde ?

Jean-Michel Guenassia :J’aime bien l’idée que les personnages de mes romans ne soient pas seulement centrés sur leurs problèmes, mais regardent le monde, et soient concernés par ce qui s’y passe. Je ne crois pas que les écrivains apportent une contribution à l’évolution de la société. Aucun écrivain n’a jamais fait changer quoi que ce soit. Hormis quand ils ont fait de la politique. Je crois aussi que l’Histoire ne se répète pas. Ce que nous vivons aujourd’hui, n’a rien à voir avec ce que nos parents ont vécu, et leur expérience nous est inutile. On commettra nos propres erreurs, et on s’en rendra compte trop tard.

Club Italie-France : Les histoires que vous racontez mettent en scène des rencontres entre personnages de différentes nationalités, immigrants ou émigrants, comme dans votre premier roman “Le Club des Incorrigibles Optimistes“. Personne ne les considère, mais un sentiment de communauté et d’union émerge souvent lors d’intenses échanges d’idées. Pensez-vous que l’intégration soit nécessaire dans la société moderne ? Et dans le cas de la spécificité de la société française, marquée depuis toujours par ce sujet, quelle sont les méthodes pour mieux la contrôler afin d’en comprendre ses caractéristiques et son potentiel ?

Jean-Michel Guenassia : L’histoire de l’humanité depuis la nuit des temps est l’histoire des migrations. Depuis l’Est et du nord au temps de l’empire romain, de notre continent vers l’Amérique au 19 ème siècle, du sud de nos jours. Vouloir arrêter l’immigration est illusoire, on doit se faire à cette idée que rien n’est fixe, et apprendre à le vivre au mieux.

Club Italie-France : Concernant les échanges d’idées qui peuvent donner naissance à des sentiments communs, pensez-vous qu’on puisse les utiliser dans l’Europe d’aujourd’hui ? Et comment ce sentiment unique pourrait-il être apprécié pour rassembler une unité de buts et d’objectifs communs ? Quel rôle jouent les intellectuels, comme les personnages de votre livre, dans un tel processus ?

Jean-Michel Guenassia : Nous ne sommes pas propriétaire de la terre sur laquelle nous vivons, la terre appartient à ceux qui vivent dessus, peu importe où ils sont nés. Les intellectuels ont perdu leur rôle de conscience. Ils peuvent le retrouver à nouveau, mais pas plus que n’importe qui d’autre d’ailleurs. Encore faut-il s’engager un peu dans le monde, et ne pas rester enfermé dans son bureau.

“L’immigration doit être vue comme une chance pour le pays qui accueille.”

Club Italie-France : Dans votre premier roman, les immigrants se retrouvent à l’arrière-boutique d’un café pour parler de politique, de culture, d’histoire et de philosophie. Ils n’ont ni identité, ni considération, mais dans leurs arguments se crée un système entier de valeurs. Une idée récurrente est véhiculée concernant les immigrés, selon laquelle ils seront uniquement reconnus s’ils obtiennent la réussite sociale escomptée dans le pays qui les accueille. Comment changer cette vision dénigrante ?

Jean-Michel Guenassia : Ce n’est pas une vision dénigrante du tout. Il y a, pour faire simple, deux types d’immigration, l’une est politique, l’autre est économique. Dans les deux cas, ce sont les personnes les plus actives, et les plus déterminées dans leur pays qui vont être amenés à le quitter. Et c’est pour cela que l’immigration doit être vue comme une chance pour le pays qui accueille.

Club Italie-France : Toujours dans “Le Club des Incorrigibles Optimistes”, le groupe d’amis fuit d’un pays dictatorial, dans lequel la liberté d’expression n’existe pas, pour se retrouver dans un café et en débattre. Dans quelle mesure la liberté d’expression, de nos jours, dans une société qui valorise les réseaux sociaux, est importante et permet aux populations de partager leurs opinions ? Et dans quel monde existe encore des pays dans lesquels la censure est toujours en vigueur ?

Jean-Michel Guenassia : Quoi qu’on en dise, Internet et les réseaux sociaux participent vraiment à la démocratie, à la liberté d’expression, et on voit bien que les pays qui veulent restreindre cette liberté d’expression ont le plus grand mal à contrôler les réseaux sociaux.

Club Italie-France : La dictature des pays de l’Est d’un côté ; la question algérienne et l’impérialisme français de l’autre. Les thèmes historiques abordés dans “le Club des Incorrigibles Optimistes“, sont encore douloureusement actuels. Pourquoi, à votre avis, l’Histoire n’a pas évolué ?

Jean-Michel Guenassia : Le colonialisme est, entre autre, une manifestation de la cupidité des hommes, et du triomphe des plus forts sur les plus faibles. Et je ne crois pas que ces deux attitudes aient disparues, elles ont pris d’autres formes, comme le néo colonialisme, ou le colonialisme d’Etat. Aujourd’hui, où le capitalisme a triomphé du communisme, son dernier ennemi c’est lui-même, la disparition des ressources de la terre, le changement climatique, etc, vont l’obliger à évoluer. De force.

“Le populisme que l’on voit s’exprimer en France, ou en Italie, ne peut conduire, on le sait bien, qu’à une catastrophe.”

Club Italie-France : Dans vos livres, vous laissez une grande part aux idéaux, rêvés par vos personnages souvent tourmentés ou désillusionnés. Quelle importance accordez-vous aux valeurs d’aujourd’hui ? Et selon vous, pourquoi vous sentez-vous obligé d’en aborder la complexité ? Pensez-vous que la France et l’Union européenne ont perdu, dans une certaine manière, les idéaux qui unissent la nation et l’Europe entière, comme pour les raviver ?

Jean-Michel Guenassia : Ce qui m’intéressait vraiment dans le Club, et dans la vie Rêvée d’Ernersto G, c’était d’aborder la question des grandes utopies du 20 ème siècle. De m’interroger, à travers ces personnages, pour essayer de comprendre pour quelle raisons cette utopie qu’était le communisme, très belle sur le papier, a pu engendrer une monstruosité pareille. Quant à l’Union européenne, c’est une belle idée, qui ne fonctionne, finalement, pas si mal que ça, qui reste à améliorer et est très perfectible, mais quelle autre idée avons-nous à lui substituer. Le populisme que l’on voit s’exprimer en France, ou en Italie, ne peut conduire, on le sait bien, qu’à une catastrophe. Déjà, regardons tout ce que l’Europe nous a apporté, avant de la critiquer sans cesse.

Club Italie-France : Le personnage principal de votre dernier roman, “La Valse des Arbres et du Ciel” est Marguerite, une jeune femme de dix-neuf ans en rébellion contre les règles édictées par son père, qui voudrait pour sa fille un mariage arrangé et une vie de femme au foyer. Elle aime au contraire Vincent Van Gogh et la peinture. Comment cela se fait-il que vous avez décidé de vous focaliser sur l’émancipation féminine et de la soi-disant « parité des sexe » de la société moderne ?

Jean-Michel Guenassia : C’est un thème récurrent dans mes livres, porté par le personnage de Cécile dans le Club, de Christine dans la vie rêvée, d’Helen dans Trompe la mort. Parmi les grandes utopies du début du 20 ème siècle, le féminisme est une des rares utopies à avoir réussi à s’imposer. Même si beaucoup reste à faire, au niveau de l’évolution des mentalités, surtout.

Club Italie-France : Dans “La Valse des Arbres et du Ciel”, Vincent Van Gogh montre à Marguerite des lieux dans lesquels la jeune femme a toujours vécu avec une vision différente, au travers de l’art et des peintures. Pensez-vous que l’écriture et la littérature ont la même fonction, c’est-à-dire de présenter le monde sous un angle de vue différent, plus riche et complexe ? Dans lequel les écrivains contribuent à modifier la perception de l’environnement dans lequel nous vivons ?

Jean-Michel Guenassia : La littérature nous permet d’entrevoir, d’entrer dans des mondes qui, sinon, nous seraient inaccessibles. Grâce aux écrivains (et aux cinéastes), je peux vivre dans n’importe quel pays, à n’importe quelle époque, des vies et des aventures qui autrement nous auraient été interdits. Ce sont des portes qui s’ouvrent, et nous font mieux comprendre le monde.

Club Italie-France : Vos livres, publiés en Italie par l’éditeur Salani, sont accueillis avec enthousiasme. Qu’appréciez-vous en Italie et quel rapport entretenez-vous avec votre public de lecteurs italiens ?

Jean-Michel Guenassia : Je pourrai parler de l’Italie pendant des journées entières, de tout ce que ce pays m’a apporté. A une époque, j’ai failli m’installer à Padoue, une ville que j’apprécie beaucoup. J’ai été baigné par le cinéma italien, et la littérature italienne. Je suis heureux de l’accueil reçu par mes livres en Italie, que je considère comme mon deuxième pays, et où je vais plusieurs fois par an. J’ai fait de nombreux salons du livre en Italie, et c’est toujours un bonheur de rencontrer des lecteurs, ou de pouvoir communiquer avec eux par le biais de Facebook. Par contre, mon aventure éditoriale avec Salani vient de s’arrêter. Ils n’ont pas aimé mon dernier roman, et ne veulent pas le publier. Je vais donc chercher un autre éditeur italien.

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Interviews du

6 Mai

Informations

Écrivain, Dramaturge
Jean- Michel Guenassia, est un ancien avocat passionné par l’écriture et scénariste pour le cinéma et la télévision. Il écrit un roman policier publié par Liana Lévi, en 1986, “Pour Cent Millions” pour lequel il obtiendra le prix Michel Lebrun. Puis, il abandonne son métier de scénariste pour se dédier totalement à son premier roman qu’il élaborait depuis dix ans.
Daisy Boscolo Marchi - Club Italie-France - Manager
Interview réalisée par
Daisy Boscolo Marchi