
Fabio Conversi
Club Italie-France : Vous êtes médiateur entre l’Italie et la France, où vous avez fondé la société de production Babe basée à Paris. Comment vous est venue cette idée de fonder Babe ?
Fabio Conversi : Après avoir fait trois films en tant que réalisateur, me rendant compte que je ne deviendrai jamais comme les réalisateurs que j’admire, tel Bellocchio, j’ai pensé me rendre utile aux jeunes réalisateurs qui avaient plus de talent, et les protéger avec l’expérience acquise avec ce travail après de nombreuses années. “Babe” est la première société que j’ai créée, en France, puis j’en ai une autre en Italie, qui s’appelle “Bottega Film”. Cela me permet de travailler sur les deux territoires et clairement cela dépend beaucoup du point de départ du projet ; si c’est français, il faut essayer de trouver des connexions, pour que ça puisse aussi intéresser le marché italien ou vice versa.
Club Italie-France : Vous avez débuté votre carrière en tant que réalisateur. Comment avez-vous décidé de vous lancer dans la production ? Comment le point de vue du producteur change-t-il par rapport à celui du réalisateur face à une œuvre cinématographique ?
Fabio Conversi : En ce qui concerne ma façon d’être producteur, c’est presque le même point de vue, c’est la rencontre avec des gens, avec des auteurs, ou avec un livre et donc l’envie que ce projet devienne un film de travail ou pour quelques années, une série télévisée. Prenons l’exemple du livre de Joël Dicker, « La vérité sur l’affaire Harry Quebert » ; un livre que tout le monde voulait, je me suis battu pour les droits pendant trois ans ; un livre de 750 pages, le réduisant à un film cinématographique, même de deux heures et demie, l’aurait complètement dénaturé. Donc, sa forme naturelle était celle de la série télévisée, et cette série a beaucoup changé la perception que nous avions des séries, je préfère parfois l’appeler un film en quatre épisodes. Dans ce cas, il a été réalisé par Jean-Jacques Annaud, qui est un grand cinéaste, donc le point de départ est toujours le même : l’envie, comme je suis avant tout un grand cinéphile, de voir un livre, une idée, un scénario, devenir une œuvre audiovisuelle.
Club Italie-France : Y a-t-il des réalisateurs et des acteurs qui vous ont particulièrement inspiré ?
Fabio Conversi : Quand j’étais très jeune, j’ai travaillé pour Luigi Comencini, pour Ettore Scola, pour les frères Taviani, que j’ai suivis au fil du temps. Cependant, dans l’ensemble, Marco Bellocchio est celui qui m’a le plus impressionné dans ma carrière.
Club Italie-France : Comment le cinéma italien est-il considéré en France ? Et comment le cinéma français est-il considéré en Italie ? Quelles sont les particularités et les caractéristiques de ces deux pays en termes de cinématographie ?
Fabio Conversi : En France, il y a un soutien beaucoup plus fort à la production nationale. Par exemple, Unifrance fait un travail incroyable, pour la promotion du cinéma français dans le monde, comme organiser des Festivals, faire voyager des talents, des réalisateurs, des acteurs, donc il est beaucoup plus facile d’identifier des acteurs français à l’étranger, grâce au travail d’Unifrance. En Italie, nous sommes un peu en retard de ce point de vue. Les Français aiment beaucoup le vieux cinéma italien, mais d’après mon expérience, quand j’ai produit “Romanzo criminale”, puis des films de Daniele Luchetti comme “Mon frère est enfant unique”, puis clairement Paolo Sorrentino, de “Il divo” à l’époque, c’est devenu une référence absolue à l’international, il y a toujours une attention particulière ainsi que pour Bellocchio, Crialese. Le parcours d’un film parvient à toucher un premier public. Ce qui manque souvent, c’est un accompagnement pour amplifier la qualité du projet, et ainsi toucher un public plus large.
Club Italie-France : Selon vous, serait-il possible d’augmenter les partenariats cinématographiques entre la France et l’Italie ? Comment les champs artistiques des deux pays peuvent-ils s’influencer mutuellement ?
Fabio Conversi : Je crois qu’en ce moment il y a un très haut niveau de collaboration entre les deux pays. Ensuite, chaque fois, bien sûr, ça dépend du projet. Il y a quarante ans, quand “Il sorpasso” se tournait, il était tout à fait normal que Jean-Louis Trintignant soit doublé et joue le rôle d’un jeune romain. Aujourd’hui il ne serait plus crédible ni accepté par le public, donc en phase de scénario pour avoir le soutien des institutions des deux pays, l’histoire aurait besoin de s’y prêter. De plus en plus, on essaie de travailler dans ce sens, je trouve que beaucoup de films français sortent en Italie, un peu moins de films italiens en France.
Club Italie-France : Selon vous, des plateformes comme Amazon Prime Video et Netflix peuvent faire une sorte de “concurrence déloyale” dans le monde du cinéma ? Constatez-vous un désintérêt progressif du public pour le cinéma de qualité par rapport au passé ? Si oui, de quelle aide le monde du cinéma aurait-il besoin face à ces nouveaux défis liés à l’avancée de la technologie et des géants américains ?
Fabio Conversi : Je pense que la pandémie a été une énorme accélération de la pénétration des plateformes dans la vie de chacun. Mais c’est aussi vrai qu’avec l’amélioration des appareils électroménagers, la taille des téléviseurs, la qualité du son à la maison, la qualité moyenne-basse du parc a augmenté, je pense à des familles normales avec un salaire normal, sortir et dépenser 15,00 euros et tomber souvent sur de petites salles de cinémas où la projection n’aide certainement pas. Désormais, les plateformes sont une autre forme de financement des travaux ; quand Scorsese, Cuarón, Sorrentino travaillent pour les plateformes, le niveau du travail reste très élevé, et ne les empêche pas de participer à des Festivals ou même aux Oscars. A mon avis, la concurrence est toujours saine d’une certaine manière, car la concurrence est un stimulant, et cette phrase que j’ai souvent entendue, et qui me semble évidente, surtout dans notre métier, le cinéma, on a affaire à une industrie du prototype, à chaque fois on recommence, et le fait qu’il y ait une concurrence importante, je le prends comme un stimulant.
Club Italie-France : Vous avez produit « La Grande Bellezza », un film qui a remporté l’Oscar. Selon vous, ce film a-t-il changé la perception du cinéma italien en France et à l’étranger ? Peut-on parler d’une renaissance du cinéma italien ?
Fabio Conversi : Je pense que Paolo Sorrentino, qui est un grand auteur et réalisateur, a beaucoup contribué à la réputation du cinéma italien dans le monde. Paolo était déjà bien connu en France, et je me souviens que nous avions aussi gagné un prix important à Cannes pour « Il divo » ; cependant Paolo a eu la force, le courage, la constance, de persévérer dans sa ligne artistique, de ne jamais céder aux tentations ni même de se laisser influencer par les critiques les plus difficiles au début de sa carrière. Cela me fait penser, me fait espérer, que la qualité paie toujours tôt ou tard.
Club Italie-France : Quels sont vos prochains projets ? Y a-t-il un film que vous rêveriez de produire, mais que vous n’avez pas encore réalisé ?
Fabio Conversi : Nous approchons du tournage de la série basée sur le film “Un prophète”, écrit par les auteurs eux-mêmes, une série que nous tournerons également majoritairement en Italie. Puis j’ai développé d’autres projets, avec un auteur italien que j’aime beaucoup, Luca Di Fulvio, une autre anomalie de notre pays, c’est un écrivain extraordinaire considéré à la hauteur de Ken Follett, en Allemagne il a vendu à 1,5 million d’exemplaires avec ce livre, en France 400 000 exemplaires, en Italie, personne ne le connaît. Il y a une belle série sur Nostradamus, mais cher, beaucoup de projets, et je dois dire que je n’ai jamais pensé au jour où je m’arrêterai. Mon plus grand rêve serait d’adapter “Le Pendule de Foucault” d’Umberto Eco.
REPRODUCTION RÉSERVÉE ©
Interviews du
6 Mars
Informations
Réalisateur, producteur, producteur exécutif, coproducteur et directeur de la photographie
Producteur de tubes internationaux tels que "Il divo" "ACAB All cops are bastards" et "La grande bellezza".
