
Dominique Fernandez
Club Italie-France : Souvent, les gens se demandent : pourquoi écrit-on ? C’est un désir ou un besoin ?
Dominique Fernandez : C’est un besoin absolu. J’écris depuis l’âge de 11 ans. J’étais un enfant malheureux et donc écrire c’était m’isoler dans un monde à moi qui était étranger aux adultes. Depuis ce moment, j’écris tous les jours.
“Pour moi, l’Italie commence à Naples et arrive en Sicile. Le reste, c’est l’Europe.”
Club Italie-France : Vous connaissez très bien l’Italie et en particulier Naples, où vous avez vécu. Quelle est la chose la plus importante que cette ville vous a appris ?
Dominique Fernandez : J’adore Naples. Pour moi, l’Italie commence à Naples et arrive en Sicile. Le reste, c’est l’Europe. En plus beau peut-être, mais on vit à Rome, à Milan, à Florence comme l’on vit à Paris. Tandis qu’à Naples on vit en Napolitain. Je connais cette ville depuis 60 ans et c’est la seule ville que je connais en Europe qui n’a pas changé. Les petits commerces du centre-ville n’ont pas été remplacés par les supermarchés, et puis on y retrouve l’affectuosité des gens. Ici, tout repose sur les rapports personnels : les Institutions et l’Etat ne sont pas très présents, il faut connaître la personne qui vous aide si vous avez un souci. Quand j’ai habité à Naples et j’enseignais à l’Institut Français, quand je devais retirer un courrier recommandé, si j’allais au guichet à la poste, c’était impossible de le retrouver. Il fallait toujours aller voir le cousin du responsable du guichet, et alors tout de suite ça se débloquait. C’est une sorte de tribu, et ce qui est extraordinaire, c’est que ça n’a pas bougé depuis que je connais Naples. Ça m’a appris à ne pas vivre seulement selon les lois, les règles, les institutions, mais aussi selon le talent personnel, d’être bien avec les gens, d’être aimable et humain.
Club Italie-France : Vous avez publié un livre – Le voyage d’Italie – dans lequel vous exprimé votre passion pour l’Italie, Rome et Naples. Il y a une ville très importante pour les italiens, Florence, que votre livre semble passer sous silence. Pourquoi ?
Dominique Fernandez : J’ai dédié un livre d’admiration à Florence, Le Piéton de Florence. J’aime moins Florence, c’est une ville que je trouve très sévère. Mais ses œuvres d’arts, et le patrimoine que cette ville a apporté au monde entier, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cette petite ville dans le XVème et XVIème siècle a tout inventé ! La peinture, l’opéra, la banque. Mais par rapport à Naples, sur le plan humain, ça ne m’apprend rien …
Club Italie-France : L’Italie est un pays du Sud de l’Europe, une Europe qui semble de plus en plus Américanisé, une Europe qui semble parfois nier ses origines pour « gagner » le combat de la globalisation. La « Dolce Vita » est peut-être une catégorie mentale : est-elle compatible avec l’Europe qu’on nous « impose » aujourd’hui ?
Dominique Fernandez : Jusqu’à Terracina, qui est la frontière de l’ancien Royaume de Naples, c’est l’Europe, le Monde. Heureusement, en Italie il reste cet immense réservoir, la Campagne, la Calabre, la Sicile, que j’adore. Le reste de l’Italie n’est plus un pays du Sud.
“C’est le fatalisme, qui est catastrophique sur le plan économique, mais pour les russes et les italiens l’important ce n’est pas forcément le culte de la réussite, c’est l’amour de la vie.”
Club Italie-France : Vous êtes écrivain et vous aimez beaucoup l’opéra. Quel-est son trait d’union entre les deux ?
Dominique Fernandez : Quand j’étais un jeune étudiant, je méprisais l’Opéra comme tous les jeunes de ma génération. On disait que c’était du cirque, on aimait que Mozart. Et puis, un soir j’ai assisté à « La Forza Del Destino » au San Carlo de Naples. Je me suis dit : quel titre ridicule ! Je ne connaissais pas les chanteurs, et seulement par après j’ai réalisé qu’il s’agissait des chanteurs les plus connus au monde comme Corelli et Bastianini, une soirée historique ! J’ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas l’opéra a été inventée par le génie des italiens comme Rossini et Bellini.
Club Italie-France : L’Académie Française est la plus vieille institution de France. A-t-elle encore un sens aujourd’hui ? Est-elle encore capable de représenter l’évolution de la langue et le corps sociale ?
Dominique Fernandez : L’Académie Française a un rôle consultatif très important : on fabrique le dictionnaire. Je fais partie de la commission dictionnaire, et tous les jeudis matin on se retrouve on prend les mots dans leur ordre alphabétique et on révise leur définition, parce que la langue évolue avec le temps, l’histoire et les mœurs. On met à jour une nouvelle édition, qui va sortir dans deux ans, et puis on recommence. C’est le seul dictionnaire qui fait effectivement état de l’évolution de la langue. Nous sommes un organisme de vérifications, pour éviter d’un côté de conserver des mots inutilisés, mais éviter aussi le laxisme car le langage des jeunes nous pose des problèmes : le langage des jeunes évolue très vite. Nous essayons de définir le socle de la langue française.
Club Italie-France : On entend parler très fréquemment de francophonie. Il est surprenant de voir que beaucoup d’écrivains aujourd’hui sont francophones. Pourquoi la langue française est-elle si aimée par les écrivains ? Quel-est l’apport de ces écrivains francophones à la langue française ?
Dominique Fernandez : Le français est une langue qui est énormément parlée dans le monde : on estime que dans 20 ans on aura 700 millions de locuteurs français, surtout en Afrique. Ecrire dans une langue locale pour un écrivain ce n’est pas possible, personne ne le lira. Si on veut avoir une audience internationale, il faut une langue comme le français. L’Académie Française a fait des petites voulûmes qui s’appellent « Dire ne pas dire » : c’est extrait du dictionnaire et on met dans deux colonnes les expressions justes et fautives. Par exemple, on ne dit pas « je travaille sur Paris », mais « je travaille à Paris ». Ce livre est traduit en chinois, car les chinois sont très présents en Afrique Noire et la langue internationale parlée c’est le français.
“Ce qui est intéressant est que le combat contre le virilisme, le machisme et la domination de l’homme a été commun entre homosexuels et femmes, surtout au début du mouvement.”
Club Italie-France : Vous avez publié un « Dictionnaire amoureux de la Russie », pays que vous connaissez beaucoup. Vous dites souvent que l’Italie et la Russie se ressemblent énormément. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ? À première vue ces pays semblent si différents …
Dominique Fernandez : Ça dépend quelle Russie, mais j’adore la Russie et je trouve que c’est la culture la plus riche du monde. Il y a la littérature, la musique, la dance, l’opéra, le cinéma. J’aime les russes car ils ont beaucoup de défauts, mais ils ont cette idée de liberté et de fantaisie, ils ne sont pas bourgeois. Voici un point en commun avec les italiens : l’esprit bourgeois n’existe pas, on peut dire qu’un napolitain ressemble à un russe. Pensons par exemple à la Cerisaie d’Anton Tchekhov : c’est l’histoire d’une famille pauvre qui doit vendre cette maison, la Cerisaie. Au lieu de trouver une solution pour rétablir les finances, ils ne font rien et ils se laissent aller. Cette histoire pourrait se passer en Italie et c’est très commun à l’esprit Russe et c’est exactement le contraire de l’esprit anglo-saxonne. C’est le fatalisme, qui est catastrophique sur le plan économique, mais pour les russes et les italiens l’important ce n’est pas forcément le culte de la réussite, c’est l’amour de la vie.
Club Italie-France : La Mare Nostrum est considérée un véritable laboratoire de l’humanité, où le passé vient éclairer le présent. Vous aussi vous avez dédié un ouvrage à la Méditerranée, « Mère Méditerranée ». Pensez-vous que retrouver le vrai esprit de la Méditerranée pourrait donner un nouvel espoir à l’Europe ? Au final, qu’est-ce que c’est la Méditerranée ?
Dominique Fernandez : C’est une identité très forte. Sciascia disait que la Sicile devrait se séparer de l’Europe et se fédérer avec la Tunisie, l’Egypte, Malte, le Liban, la Grèce, car ils partagent les mêmes valeurs plus humains et moins individualistes. J’ai une maison à Perpignan, à la frontière espagnole, et là je sens la Méditerranée, la chaleur humaine. Je suis mexicain d’origine et le Mexique c’est le prolongement de la Méditerranée.
Club Italie-France : Vous avez beaucoup voyagé. Ce qu’on ressent dans vos ouvrages c’est une énorme ouverture mentale, et chose encore plus importante, la capacité de voir pour chaque pays ce qu’il y a de magnifique et non seulement ses défauts. Trouvez-vous qu’en Europe on assiste à une terrible désinformations sur certains sujets d’actualité ?
Dominique Fernandez : La désinformation en Europe et en France est fréquente, et l’ignorance répandue. On assiste surtout à l’ignorance, ça se voit tout de suite si une personne a voyagé ou pas. Moi j’ai voyagé dès 18 ans, en Allemagne, en Angleterre et en Italie et après dans tout le monde. Voyager ça nous apprend à vivre. Les gens qui vivent uniquement dans leur petit village ou dans leur pays sont formatés. L’Italien ou le Français moyen est formaté. Vivre, connaître les gens et les langues donne évidemment une certaine ouverture d’esprit. La plupart des gens qui font l’information aujourd’hui, ils ne connaissent rien à tout ça : si on regarde les fausses informations qu’on donne en France sur la Russie, c’est monstrueux. On crache sur Putin – que je ne veux pas défendre – mais il est un vrai chef d’état, et la Russie a toujours eu besoin d’un homme fort pour être gouvernée. Ce n’est pas un pays comme l’Italie ou la France, des pays démocratiques. Il n’y a jamais eu de démocratie en Russie, il y a toujours eu des hommes forts, car c’est immense et difficile à gérer. Un gouvernement autoritaire est nécessaire.
Club Italie-France : Vous avez affirmé : « ce n’est pas le sexe qui est important. Ce n’est pas la vision sexuelle, c’est le fait d’être rejeté et différent qui donne un regard critique sur la société et sur les valeurs admises : la famille, la patrie… Les opinions dominantes, l’homosexuel, comme d’autres sans doute, les regardent avec critique. ». C’est une opinion très intéressante. Les femmes aussi, subissent encore aujourd’hui des préjugées en Europe (même si certains ne veulent pas l’admettre) et dans le monde. Quel est votre rapport avec le combat pour les droits des femmes ? Pensez-vous que qu’en politique on aurait besoin de plus de femmes et d’homosexuels pour apporter une pensée plus critique et complète sur les valeurs de notre société ?
Dominique Fernandez : L’homosexuel a été rejeté par la société pendant longtemps. Les femmes mènent leur combat pour leurs droits, mais n’ont pas été rejetées par la société. Moi, en tant qu’homosexuel, j’ai beaucoup souffert. L’homosexuel a un regard critique vers les valeurs de la société, car il ne reconnait pas ses valeurs. André Gide, écrivain homosexuel, a été le premier à dénoncer le colonialisme et le culte de la personnalité en Russie : sa lucidité et son esprit critique venait du fait qu’il était homosexuel.
Pour les femmes la question est différente : elles n’ont jamais été rejetées par la société, mais elles ont été soumises. Ce qui est intéressant est que le combat contre le virilisme, le machisme et la domination de l’homme a été commun entre homosexuels et femmes, surtout au début du mouvement. En politique comme ailleurs, je pense qu’il faut éviter le piège de la parité absolue. Il ne faut pas prendre une femme parce qu’elle est une femme, mais pour ses qualités. Mais c’est certain : il n’y a pas assez de femmes dans les places importantes.
Club Italie-France : Quel-est le rôle des écrivains et des intellectuels face à la crise culturelle qu’on vit aujourd’hui ?
Dominique Fernandez : Un bon livre fait avancer le monde. Mes modèles son Voltaires, Hugo, Zola, Montesquier, Sciascia, des écrivains qui ont fait bouger les choses. En tant qu’écrivain, j’essaye d’écrire des livres qui puissent avoir un poids social. L’écrivain doit faire bien son travail et de le faire le mieux possible. On peut appuyer certaines batailles. Danielle Sallenave par exemple, est une académicienne qui a fait un essai bref et percutant sur le mépris de classe intitulé « Jojo avec un gilet jaune ». Elle explique que c’est les gens de la France d’en bas qui n’a jamais eu accès à l’école et à la culture qui proteste avec la France d’en haut, qui ne s’est jamais occupé d’eux. Dans les campagnes en France il n’y a absolument rien. Danielle Sallenave est fille d’une institutrice et a eu une enfance pauvre et je trouve qu’avec ce livre elle a bien joué son rôle d’écrivaine et intellectuelle.
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Interviews du
10 Juin
Informations
Écrivain, essayiste et italianiste
Dominique Fernandez est un célèbre écrivain, essayiste et italianiste. Ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’Italien, il devient en 1957, professeur à l’Institut Français de Naples et est nommé par la suite professeur d’italien à l’université de Haute-Bretagne. Depuis 1958, il redige des articles pour la Quinzaine Littéraire, L’Express, et le Nouvel Observateur.
