
Claude Lelouch
Club Italie-France : Votre film, Les plus belles années d’une vie (2019), contient un grand nombre de références notamment au Voleur de bicyclette (1948) réalisé par Vittorio de Sica. Qu’est-ce qu’il vous a apporté ? Quel rôle a-t-il joué dans votre cinéma ?
Claude Lelouch : Il y a une dizaine de films qui ont fabriqué ma façon de filmer. On n’invente rien. On est des relais. On est tous les relais de quelque chose. On est tous fabriqué de ce qui nous a précédé. Chacun de nous, dans tous les domaines, nous sommes le résultat de choses qui nous ont modifiées, touchées, bouleversées. C’est vrai que le Voleur de bicyclette (1948) fait partie de ces dix films qui ont fabriqué mon style qui a un moment donné m’ont rassuré sur l’idée que je ferai ce métier. C’était la première fois que je croyais autant à une histoire. Je me suis dit qu’avec un film on peut raconter de vraie histoire, avec de vrais personnages. Dans ce film, il n’y a pas de star. On est dans la rue. C’est un film pas cher, facile à faire… Il fait indéniablement partie des films qui ont fabriqué “Claude Lelouch”.
Club Italie-France : Votre prochain film, L’amour c’est mieux que la vie (2020), est en cours de réalisation. Un gros casting est à l’affiche. Pouvez-vous nous raconter quelques anecdotes de tournage déjà ? De réalisation ?
Claude Lelouch : C’est un film sur lequel je travaille depuis 20 ans. J’ai tourné, consciemment et inconsciemment beaucoup de séquences. Depuis l’an 2000 jusqu’à aujourd’hui, j’ai emmagasiné un certain nombre d’images qui vont alimenter mon prochain film. Il va s’appeler L’amour c’est mieux que la vie (2020) parce que j’en suis vraiment convaincu même quand ça fait très mal. Je pense qu’on a tous envie d’être aimé et de se faire aimer. Tout ce que l’on fait dans la vie, c’est pour être aimé. J’ai envie avec ce film de parler de mon intime conviction. Après avoir étudié le genre humain depuis un peu plus de 60 ans, je commence à avoir deux, trois certitudes dont je vais parler dans ce film. C’est presque un film testamentaire. Je vais y mettre dans ce que j’aurais envie de dire à mes enfants.
Club Italie-France : Quel héritage culturel voulez-vous laisser à la génération d’aujourd’hui ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune réalisateur avec l’ambition de changer la vision du monde d’aujourd’hui ?
Claude Lelouch : Personne ne détient la vérité. Personne. Par contre, il y a des parfums de vérité. Dans la vie, les choses ne se passent jamais comme on les avait imaginées. Dans tous les domaines. Quand c’est un petit peu plus que ce qu’on avait imaginé, c’est le début du bonheur. Quand c’est un petit peu moins, c’est le début des emmerdes. Je pense que lorsqu’on est très prétentieux, on a aucune chance d’être heureux sur cette terre. Cette terre appartient aux gens modestes et aux gens honnêtes. La vie est un jeu extraordinaire. Le problème du jeu, c’est qu’il y a des tricheurs. La vie, c’est le plus beau de tous les jeux. Mais, il y a des tricheurs et donc il faut les démasquer. Si on démasque les tricheurs, la vie est un bonheur. La vie est un enchantement. Dans l’amour, dans les affaires, c’est eux qui font que de temps en temps on a le sentiment que la vie est une saloperie.
Club Italie-France : Votre cinéma est cousu de références cultissimes, quelles sont les plus remarquables / vos préférés ?
Claude Lelouch : J’ai été influencé par Victor Hugo, Napoléon, Chaplin, Mikhaïl Kalatozov, le grand réalisateur russe. Aussi, Jacques Tati, Michel Audiard, Sacha Guitry, Marcel Pagnol sont mes références. Ces hommes ont inventé mon cinéma et ma façon de voir le monde. Ils sont nés avant moi, ils ont joué avec la vie avant moi. Et c’est vrai que tout ce qu’ils ont fait m’a impressionné. Alors, évidemment, je pourrais vous citer des musiciens, des peintres… Mais eux sont mes papas et mes mamans. Ce sont eux qui ont fabriqué le regard que je porte sur le monde. Je suis fasciné par le genre humain et ses contradictions. Le genre humain est comme la météo, il faut aller voir les gens quand il fait beau et surtout pas quand il fait mauvais. Le genre humain a beaucoup de mal à aimer les autres. On a surtout tendance à s’aimer soi-même. On a beaucoup de mal à avoir de l’empathie pour les autres. Notre ego qui est notre principal défaut. On a tous un ego surdimensionné. D’ailleurs, c’est la cause de tous nos emmerdes. Je pense que le jour où le genre humain basculera dans la générosité, le jour où le genre humain aura compris que l’honnêteté est la meilleure des combines, ce sera le casse de l’année. Si les gens savaient à quel point l’honnêteté est rentable, il n’y aurait plus un flic, plus une prison… Mais les gens ne croient pas à l’honnêteté. Ils croient à la jalousie, à la médisance… Les gens ne croient pas aux belles choses. Voilà ! Alors, j’essaye à travers mes films de leur donner un peu d’espoir.
Club Italie-France : Vous avez filmé une grande partie de l’Histoire de la France, les bouleversements sociaux, les changements générationnels… Vous nous avez fait vivre l’actualité comme personne. Que pensez-vous des projets de films au sujet de la pandémie Covid 19 ? Est-ce que ce n’est pas l’histoire qui se répète ?
Claude Lelouch : Cette pandémie, c’est une guerre dans la guerre. Ça a tous les avantages de la guerre sans la guerre. Je pense que ce qui a fait progresser l’humanité ce sont les catastrophes. Toutes les grandes catastrophes, toutes les grandes misères du monde, on fait faire des progrès à l’humanité. L’humanité s’est remise en question à chaque fois qu’elle a souffert. La vraie monnaie de la vie, c’est la souffrance.
Ce n’est pas l’argent. L’argent, c’est bien pour faire la fin du mois. Mais la plus grande université du monde, c’est la souffrance. Tout ce que j’ai d’abord réussi, je l’ai d’abord raté. Tout ce qui m’a donné du plaisir, m’a fait d’abord souffrir. Donc, je crois aux forces du mal puisque c’est le mal qui forme le bien. Je pense que le covid est une chance formidable pour l’humanité. On avait besoin d’un coup de pied au cul, de changer beaucoup de choses. On était des enfants gâtés. On appréciait plus le fait d’aller au cinéma, même pour aller voir un navet. C’est une crise d’enfants gâtés. C’est une crise de gens qui ont trop de tout. J’espère que ce covid va changer le monde. Tout comme j’espère qu’un jour un film changera le monde… Si je passe à travers les gouttes de cette maladie, de ce covid 19, ainsi qu’à tous, ce sera une chance formidable. Pas un homme politique aurait pu passer un tel message. Pas un président aurait pu nous emmener à ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui. Donc seul ce petit microbe, qu’on ne voit même pas, qui est invisible, cet homme invisible est en train de changer le monde. Et j’espère que cela sera pour notre bien.
Club Italie-France : Êtes-vous nostalgique de l’Âge d’or de l’histoire du cinéma ? Pensez-vous que les nouveaux paradigmes font partie de l’évolution de l’histoire du cinéma ?
Claude Lelouch : Je n’aime pas trop le passé. C’est comme si on serrait un mort dans ses bras. Il ne se passe rien. Le passé, c’est le passé. En plus, le passé, c’est le refuge du mensonge. Dans la nostalgie, les menteurs inventent des légendes. Je pense que si le cinéma avait existé à l’époque du Christ, si on l’avait filmé sur la croix, on dirait moins de conneries. Et, si on avait filmé Jeanne d’Arc sur la croix, on dirait moins de conneries. Je pense que depuis 1895, depuis la naissance du cinéma, le mensonge a perdu de sa force. On peut mentir avec le cinéma, mais un peu moins. Je ne suis pas nostalgique du passé. Or, la seule chose à laquelle auquel je crois, c’est le présent. C’est la seule chose qui nous appartient. Là, on est en train de parler. On ne peut pas nous le prendre. Voilà, le reste ce sont des hypothèses. Le passé, il est mort et le futur est un tel point d’interrogation qu’il fait peur à tout le monde. Le futur fait des trouillards. Donc, la seule chose qui compte c’est le présent. C’est la seule chose qui nous appartienne. Et le reste, on en est les gardiens. Le passé, c’est le monde des menteurs. C’est l’histoire. Je le vois très bien, quand je raconte une histoire d’il y a 7 ou 8 ans, j’exagère. On est dans l’exagération totale. Donc il faut faire attention à l’histoire. Par exemple, c’est fou ce que la mort vous donne de talent. J’aurais beaucoup plus de talent après ma mort.
Club Italie-France : Nombreux sont les acteurs italiens que vous avez fait tourner. Que préférez-vous chez eux ?
Claude Lelouch : Ce que j’aime chez les acteurs italiens, c’est ce que j’aime chez tous les acteurs du monde : c’est la spontanéité. Il y a une spontanéité qui peut être encore plus forte. Et il y a un humour. C’est très difficile pour un acteur italien de dire les choses sérieusement. Ils ont un sourire, un charme, une élégance… Ils sont plus voyous que nous. Ils sont plus tricheurs que nous. Ils sont très photogéniques. Donc s’ils sont photogéniques, je les adore.
Club Italie-France : Quelle est l’importance pour vous du retour médiatique à la sortie d’un de vos films ?
Claude Lelouch : Aujourd’hui, le cinéma traverse une crise terrible. La plupart des films qui sont projetés en salle de cinéma sont des films de télévision. On va au cinéma voir des films de télévision. On va plus voir les grands films. Il fut un temps où on produisait des films pour des spectateurs qui allaient au cinéma. Maintenant, tous les films sont produits par des chaînes de télévision. Donc le spectateur inconsciemment va aller de moins en moins au cinéma parce qu’il sait très bien que tout ce qui va pouvoir voir au cinéma, il va pouvoir le voir chez lui. Il y a une grande crise qui est en train de se préparer. Et s’il n’y a pas à nouveau des producteurs ou metteurs en scène de cinéma qui font des films de cinéma pour le cinéma, le cinéma est foutu. Donc, il est urgent qu’on retrouve des hommes et des femmes qui vont refaire du cinéma. Le cinéma est un laboratoire. La télévision a récupéré toutes les inventions du cinéma. Il faut que le cinéma invente de nouvelles choses. Qu’il soit l’Institut Pasteur. Qu’on soit obligé de le prouver. Donc, il y a un gros défi pour le cinéma aujourd’hui. Il faut absolument que le cinéma se réinvente pour les grandes salles et les gens qui sont prêts à faire la queue, à s’emmerder à garer leurs voitures pour aller voir une belle histoire.
Club Italie-France : Avec tant de succès, qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui ?
Claude Lelouch : Je suis curieux. Je suis une vraie concierge. Tout m’intéresse. Tout. Je suis d’une curiosité incroyable. Je suis d’une lucidité bienveillante pour mes contemporains. Je suis très tolérant. Pour moi, il n’y a pas de gens méchants, de héros. Je ne crois pas au héros, je ne crois pas au salop. Il y a des jours, on est des héros et d’autres des salops. On a tous la possibilité d’être enterré au Panthéon ou de finir en prison. Chacun est maître de son destin. Ce qui me motive, c’est l’idée de faire le meilleur film de Claude Lelouch. À chaque fois que je commence un film, je me dis qu’il faut que je fasse le meilleur.
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Interviews du
7 Août
Informations
Réalisateur, scénariste, producteur et acteur.
Légende du cinéma français, Claude Lelouch surprends toujours pour sa créativité et son humanité.
