
Catherine Léger-Jarniou
Club Italie-France : Vous êtes la présidente de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation. Quels sont les services et les objectifs de l’académie? Quelles sont les valeurs fondamentales de cette institution?
Catherine Léger-Jarniou : L’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation est depuis l’origine, en 1998, une association d’enseignants-chercheurs francophones en entrepreneuriat, mais elle est également ouverte aux professionnels très impliqués dans l’entrepreneuriat et sa promotion. L’AEI se veut « le » lieu ressource en entrepreneuriat. Notre mission est de promouvoir le développement de la recherche en entrepreneuriat et la diffusion de ses résultats. Concrètement, cela signifie encourager l’entrepreneuriat et l’innovation à tous les niveaux du système éducatif et de la formation permanente, bâtir et diffuser des méthodes pédagogiques spécifiques et innovantes, faciliter les échanges d’expériences, d’informations entre ses membres et tous les organismes, privés ou publics, nationaux ou internationaux, notamment francophones et faciliter le dialogue entre les chercheurs et les praticiens.
Club Italie-France : De quel type de formation les futurs entrepreneurs ont-ils besoin aujourd’hui? Existe-t-il des matières ou des compétences sur lesquelles les jeunes entrepreneurs présentent aujourd’hui des lacunes?
Catherine Léger-Jarniou : Les futurs entrepreneurs ont besoin de formations qui recouvrent des savoirs, des savoir-faire mais aussi des savoir-être. Et c’est une spécificité de la pédagogie en entrepreneuriat de prendre largement en compte ce volet que l’on appelle aussi les « soft skills ». Les jeunes entrepreneurs ont besoin de confiance en soi, de créativité, de capacité de rebond et de résilience – renforcée depuis quelques mois -. Pour se réaliser, ils ont besoin également d’accompagnement avec des mentors dédiés et qui comprennent toutes les difficultés liées à leur âge ainsi que toutes les opportunités et le dynamisme également liés à leur âge. Plus tôt toute action de sensibilisation est faite, plus l’entrepreneuriat deviendra une voie comme une autre, comme le salariat par exemple. Aussi, toutes les formations dès le plus jeune âge doivent être encouragées, et de manière ludique pour plus d’efficacité.
Club Italie-France : Vous avez rédigé une série de manuels. Est-il difficile d’expliquer le monde de l’entrepreneuriat de manière théorique et pédagogique? Comment coupler pédagogie et pratique?
Catherine Léger-Jarniou : Mon travail d’enseignant-chercheur a toujours été dual ; faire de la recherche au service de la Société tout en cherchant à « vulgariser » au sens de Michel Serres tous les savoirs disponibles pour les apporter au plus grand nombre. Cette démarche n’est pas toujours simple (ni comprise dans les institutions académiques), mais possible en partant des besoins des lecteurs (futurs entrepreneurs et intrapreneurs) pour leur en faciliter l’usage. L’exemple le plus abouti est « La Boîte à outils de la création » que nous venons de livrer avec mon co-auteur pour la version 2021 qui est la 8ème édition. Cette volonté a toujours été une préoccupation pour moi, fondée également sur la pratique auprès de jeunes entrepreneurs. Séparer la théorie et la pratique n’est pas concevable pour moi et la volonté d’être toujours très pédagogique est une évidence depuis toujours.
Club Italie-France : Quelle place a-t-il aujourd’hui l’entrepreneuriat dans la société française? Ce monde attire aujourd’hui les jeunes talents ou les effraie ? Il existe aujourd’hui certaines reformes qui pourraient dynamiser le tissu entrepreneurial français ?
Catherine Léger-Jarniou : L’entrepreneuriat est depuis quelques années un sujet important pour tous les gouvernements à travers le monde, avec des objectifs divers. Nous sommes partis d’un peu loin en France il y a vingt ans mais avons largement rattrapé notre retard, quand on observe tous les textes de loi, la création du nouveau régime d’auto-entrepreneur devenu micro-entrepreneur, les aides, les concours, les structures d’accompagnement et de soutien, les incubateurs, le déploiement de formations dans tous les types d’établissements, etc. Tout ce mouvement de fond s’est traduit par une augmentation du nombre de créations d’entreprises qui a incité les médias à faire une place plus importante et plus positive à l’entrepreneuriat et à la création d’entreprise (y compris la création d’une chaîne spécialisée comme Demain !). Et les jeunes sont de plus en plus sensibles à la liberté d’entreprendre, ce qui signifie entreprendre leur vie, à leur façon et loin des codes établis. Et ce mouvement touche toutes les catégories de jeunes. Ils y trouvent un moyen de concilier leur vie professionnelle et personnelle et aussi de mettre en avant leurs valeurs environnementales, humanistes et aussi réalistes.
Club Italie-France : Pandemie et entreprises: quels sont les leçons à tirer ? Quelles sont les faiblesses que la pandemie a souligné et pourquoi les entreprises ont tout interêt à travailler sur ces faiblesses ? Allons-nous parler de plus en plus de rélocalisation ?
Catherine Léger-Jarniou : La pandémie actuelle nous oblige tous à réinventer des business models et donc sortir de la routine et de nos zones de confort. Au-delà de la résilience dont les entrepreneurs doivent faire preuve, les jeunes entrepreneurs peuvent être de bons vecteurs. Plus sensibilisés à la défense de l’environnement et du climat, au non gaspillage et à la solidarité par exemple, ils inventent des nouveaux métiers ou surtout de nouvelles façons de pratiquer des métiers existants qui me semblent être des signaux encourageants. Et lorsque vous couplez ces attentes avec le fait que le digital est leur culture, ils sont surprenants et entraînent également des entrepreneurs en place. La relocalisation et le consommer « français » en sont de bons exemples.
Club Italie-France : Femmes et entrepreneuriat, quelle est la situation en France ? Nous voyons de plus en plus de femmes qui se lancent, notamment dans l’écosystème des start-ups. Leur présence s’est renforcée ? Il y a-t-il encore des situations dans lesquelles les femmes sont discriminées par exemple, l’accès au crédit ?
Catherine Léger-Jarniou : Les femmes ont toujours été entrepreneurs (par nécessité à certains moments) mais leur présence a été stable pendant de longues années, environ 30%. Ce qui change depuis une décennie, lentement certes, mais de manière récurrente, provient du fait que le nombre de femmes qui se lancent augmente constamment et qu’elles entreprennent dans des secteurs non « réservés » aux femmes. On observe de belles réussites dans les start-up technologiques, dans l’industrie ou dans la viticulture par exemple. Et un peu comme les jeunes dont nous parlions, elles réinventent des façons de faire les choses, ce qui est encourageant. D’ailleurs l’entrepreneuriat féminin est un très beau champ de recherche et ses retombées vont plus loin que la seule population féminine.
Club Italie-France : Etre entrepreneur: une façon d’être ou un parcours académique spécifique?
Catherine Léger-Jarniou : Evidemment les deux. Le parcours académique permet de susciter des vocations ou de renforcer et d’armer des créateurs en devenir.
Club Italie-France : Quelle place occupe la recherche au sein de votre Académie?
Catherine Léger-Jarniou : La mission première des enseignants-chercheurs est de mener des recherches, de plus en plus collectives, pour faire avancer la connaissance dans son champ. On peut dater le début de la recherche en entrepreneuriat en France dans les années 1980/90 et nous étions un très petit nombre concernés ; d’où la création de l’Académie pour promouvoir ce champ de recherche et d’enseignement. Aujourd’hui, des collègues sont professeurs d’université, directeurs de chaires et de programmes entrepreneuriaux. L’Académie encourage ce mouvement : nous avons créé des groupes thématiques de recherche (ouverts à des collègues de disciplines connexes) dédiés à des sujets comme l’entrepreneuriat féminin, international, la transmission ou l’entrepreneuriat culturel. Nous organisons tous les deux ans un Congrès qui rassemble notre communauté ainsi que des chercheurs internationaux pour faire le point sur nos derniers travaux. Par ailleurs, l’Académie édite une revue académique, La Revue de l’Entrepreneuriat, qui publie quatre numéros par an et un ou deux numéros spéciaux qui regroupent de très bons papiers de recherche. La Revue est d’ailleurs classée rang 2 par la Fnège, ce qui témoigne de sa qualité.
Club Italie-France : Avez-vous envie de partager vos prochains projets ou une thématique sur laquelle vous allez travailler prochainement? Avez-vous des projets avec d’autres écoles/instituts dans d’autres pays, et en particulier en Italie?
Catherine Léger-Jarniou : L’Académie est toujours en mouvement et innove. L’année prochaine nous centrerons nos actions sur la promotion de la Revue de l’entrepreneuriat notamment dans les pays de langue anglaise, l’organisation de webinars, la communication sur les réseaux, ainsi que la volonté de s’ouvrir à d’autres disciplines connexes pour enrichir la recherche et la pratique. Nous avons également des collègues qui travaillent dans d’autres pays comme le Québec, la Belgique, les pays de Maghreb, l’Afrique francophone et une des missions de notre VP International consiste à développer des liens avec des institutions et/ou des collègues dans un plus grand nombre de pays, et notamment l’Italie qui a toujours été un bel exemple de dynamisme entrepreneurial et territorial grâce à ses districts.
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