Club Italie-France: Intervista Carlo Verdone - 2020

Carlo Verdone

Club Italie-France : Que signifie risquer dans le cinéma aujourd’hui ? Cela en va-t-il la peine ou y a-t-il un risque de décevoir le public ? Quelle est l’importance de la critique pour un artiste ?

Carlo Verdone : L’opinion du public compte beaucoup, surtout aujourd’hui, et cela parce que le public du cinéma a beaucoup diminué. Une mauvaise bouche à oreille suffit à subir un contrecoup. Aujourd’hui, il faut vraiment aborder le public : mais pas avec ruse, il ne faut pas écrire et produire de manière mécanique. Le public est beaucoup plus intelligent de ce que l’on pense. Il suffit d’écrire des films passionnants, des films dans lesquels le public rencontre l’auteur. Aujourd’hui, nous avons perdu une grande partie du public, en particulier parmi les jeunes, qui sont de plus en plus attirés par les séries. Il faut ne pas perdre ce public resté fidèle au cinéma, et pour cela il faut offrir un produit de qualité.

Club Italie-France : Vous êtes considéré comme l’héritier de Sordi. Votre relation humaine avec lui était sans aucun doute formidable, mais professionnellement sont majeurs les points de rencontre et les ou les différences ?

Carlo Verdone : C’est une erreur de dire que je suis son héritier. Alberto Sordi a raconté une très vaste période d’histoire : il a parlé de la guerre, de l’après-guerre, de la reconstruction, du boom économique … Il a raconté les grands changements de société liés à cette période de la fin des années 50, toutes les années 60 et une partie des années 70, alors que je n’avais pas de grands événements socio-politiques à raconter, mais j’ai parlé des changements notables au sein de la famille, de la société et je me suis souvent concentré sur le sentiment de solitude et sur le malentendu entre l’homme et la femme: l’incompréhension, encadrée dans la comédie, tout en abordant le thème de la relation homme-femme, conduit inévitablement souvent au rire. Je suis né en tant qu’acteur lorsque le féminisme a complètement changé la figure de la femme, qui n’était plus la femme des films de Sordi. J’ai parlé des problèmes, des tensions, des changements dans la famille et les relations, les sentiments contradictoires d’un homme placé au coin d’un ring pour se faire tabasser, ne pouvant pas exactement comprendre les figures féminines qui l’entourent. Massimo Troisi a fait la même chose à sa manière. Lentement, je suis passé à des questions plus importantes comme la rupture des relations conjugales : Compagni di scuola, par exemple, est un film tragique plutôt que comique, avec le thème de la fragilité des relations. Je pense avoir parlé des changements dans la société en évolution. Sordi a emprunté un chemin complètement différent. Il y a un joli cynisme en lui, moi j’ai toujours été plus compatissant avec mes personnages.

Club Italie-France : Vous avez découvert de nombreux talents, tous avec des rôles importants et non secondaires. Qu’est-ce qui motive le choix d’un acteur ?

Carlo Verdone : Le caractère et le visage. Le visage est très important car le cinéma est fait de gros plans. Un visage intéressant, s’il a le talent (comique ou dramatique) est choisi, car c’est un visage qui perce l’écran. Mais le visage ne suffit pas : si le talent s’entrevoit, le réalisateur intervient et essaie de l’exalter au mieux et je crois de pouvoir dire que j’ai toujours fait cela dans ma carrière. Il y a beaucoup d’acteurs et d’actrices que j’ai lancés, et tous ont gagné des prix. Pensons par exemple à Margherita Buy dont on se souvient avant tout pour Maledetto il Giorno, ou à Asia Argento dont on se souvient surtout pour Perdiamoci di Vista, ou encore Claudia Gerini pour Viaggi di nozze. Elles étaient talentueuses, pour ma part il y avait le désir de valoriser leur talent. Quand un acteur que j’ai lancé reçoit une reconnaissance, pour moi c’est le plus beau des cadeaux. 

Club Italie-France : Parmi les talents découverts, il y a, comme vous l’avez mentionné, beaucoup de femmes. Quelle est votre relation avec les femmes au cinéma et dans la vie ?

Carlo Verdone : J’ai plus d’amies que d’amis, je me sens mieux et je trouve plus de maturité et de sensibilité dans les relations avec des femmes. Aujourd’hui, l’homme est absolument en crise. Les deux sont en crise, mais l’homme l’est plus. Souvent, je me rapporte à des amies qui, même dans les difficultés de la vie, réagissent toujours intelligemment, avec l’ironie qui manque souvent à l’homme. Elles ont une plus grande sensibilité, elles sont supérieures.

Club Italie-France : Y a-t-il un sujet pas encore traité que vous aimeriez aborder de manière absolument libre et indépendante, pas hypocrite ?

Carlo Verdone : Je voudrais aborder le thème de la maladie dans la comédie. En Si vive una volta sola, il y a le thème de la maladie, mais ce n’est pas exactement ce que j’aimerais faire un jour. J’aimerais le prendre au sérieux et construire en même temps une bonne comédie. Pouvons-nous rire de la maladie ? De la maladie non, mais de toutes les situations qui surviennent dans la relation avec le patient, les événements qui peuvent survenir, de cela oui. Si je me souviens de certains épisodes qui sont arrivés dans ma vie dans des relations avec des malades, certains ont été drôles. La douleur et la fragilité sont des problèmes difficiles à traiter dans la comédie, mais cela en vaudrait la peine. Je crois que j’ai l’âge et l’expérience pour le faire, avec courage.

Club Italie-France : Impossible de ne pas évoquer votre rencontre avec Sergio Leone, qui vous a donné l’opportunité de vous essayer en tant que réalisateur. Quel est le meilleur souvenir et quel est son enseignement le plus important ?

Carlo Verdone : Celui de ne jamais être satisfait, d’essayer de tirer le meilleur parti de la scène, même la scène la plus petite. Il faut une certaine créativité pour embellir ces scènes si petites qu’elles semblent insignifiantes, alors que rien n’est insignifiant. Autre leçon, un jour, Sergio Leone m’a dit : « Quand tu es sur le point de commencer un film, il faut dissiper tes doutes en premier ». Il avait raison, le doute au moment où le tournage a commencé, fait apparaître le réalisateur comme quelqu’un de faible. L’équipe le remarque et cela peut devenir incontrôlable. Cela m’a appris à toujours être sûr de ce que je faisais. Les doutes doivent être résolus avant le tournage, ce fut une belle leçon.

Club Italie-France : Admirez-vous quelque chose en particulier dans le cinéma français ? L’explosion du cinéma américain a-t-elle endommagé le cinéma italien, bien qu’indirectement ?

Carlo Verdone : Le cinéma américain n’a pas endommagé notre cinéma, au contraire il a fourni des indications pour raconter des histoires avec plus de courage, pensez au dernier Green Book. Aux US, vous pouvez raconter un nombre indéterminé d’histoires : chaque rue est un monde à part, elle a une histoire différente. Ce n’est malheureusement pas le cas en Italie. Notre provincialisme est notre force, mais notre faiblesse en même temps. Nous souffrons du cliché de l’italien laid, sale, mauvais et tricheur. Quant au cinéma français, il regorge de réalisateurs importants. J’ai beaucoup aimé Louis Malle : quand j’ai vu Ascenseur pour l’échafaud – son essai de réalisateur de 1958 – j’étais sans voix, c’était vraiment un talent, sans parler de Au revoir les enfants, ou Les Amants. Mais j’admire aussi beaucoup Claude Lelouch. Deux autres grands réalisateurs étaient Jean Renoir et François Truffaut. La France ces dernières années grâce à ses scénaristes et réalisateurs devient très bonne dans la comédie. Avant les comédies étaient notre fleuron, aujourd’hui les Français en termes de qualité et d’écriture nous dépassent largement.

Club Italie-France : Dans quelle mesure l’Etat aide-t-il le cinéma et la culture ? A titre de comparaison : la France investit 6 milliards dans la culture tandis que l’Italie en investit 800 millions. Dans quelle mesure cette attitude affecte-t-elle le produit final ?

Carlo Verdone : La France a également perdu des spectateurs, mais moins que nous. Le fait qu’ils reçoivent plus de subventions aide certainement, car cela donne de l’importance au cinéma, les gens ont le sentiment que le cinéma est un art et doit être traité et considéré comme tel. Chez nous, le cinéma est considéré comme un pur divertissement, seul un noyau dur de spectateurs particulièrement fidèles le considère aujourd’hui comme un art à protéger. La France a une autre tradition et ils ont toujours été très bons dans ce domaine, il faut la reconnaître.

Club Italie-France : Que reste-t-il de l’Italie et des personnages que vous avez racontés ?

Carlo Verdone : De l’Italie que j’ai racconté, il reste encore quelque chose aujourd’hui, mais beaucoup a été perdu. La société a changé négativement. Il existe un écart de plus en plus grand entre les quelques riches et ceux qui souffrent et se trouvent en difficulté. Ensuite, il y a un drame qui ne rend pas possible ce que j’ai fait, c’est l’homologation de masse. Aujourd’hui, nous vivons par imitation et non selon notre propre cerveau : tous avec le même téléphone portable, tous habillés de la même façon… il est difficile de trouver le « Moreno » ou le « Gallo Cedrone » de la situation. La partie la plus folklorique de la société a disparu. En Amérique, c’est différent : chaque ville est différente, il y a des histoires sans fin. Nous vivons dans des villes qui sont des œuvres d’art, il est impossible de construire une scène à partir de zéro, nous sommes esclaves de Campo dei Fiori, de la Piazza Navona, du Duomo … nos beautés artistiques sont uniques au monde, en même temps elles nous limitent à inventer des histoires. On peut faire de belles choses, on ne manque pas de talents. Espérons juste que nous n’allons pas trop continuer avec les films habituels sur la mafia et la Camorra … à long terme, ce seront les films qui donneront à de nombreux jeunes l’idée de penser que pour être important, il faut être un criminel.

Club Italie-France : En plus d’être réalisateur, scénariste et acteur, vous aimez la musique. Avez-vous des projets à cet égard pour l’avenir ?

Carlo Verdone : Je le fais comme passe-temps, mais ce n’est pas mon travail. J’aime le faire, mais par passion et par plaisir, mais mon travail est d’acteur, de réalisateur et de scénariste. J’ai beaucoup de passions : une exposition avec mes photos a été récemment organisée à Naples : j’adore photographier le ciel et les nuages. Je ne l’avais dit à personne, puis Elisabetta Sgarbi a jugé bon d’organiser une exposition pour le public et j’étais très heureux de partager ma passion.

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Interviews du

9 Août

Informations

Acteur, réalisateur, scénariste
icône du cinéma italien
Daisy Boscolo Marchi - Club Italie-France - Manager
Interview réalisée par
Daisy Boscolo Marchi