
Capucine Lemaire
Club Italie-France : Vous avez créé l’Observatoire des politiques du handicap et vous travaillez également à la fondation d’un musée d’art et d’histoire du handicap. Pouvez-vous nous expliquer quels sont les objectifs de votre observatoire et aussi le rôle de la fondation ?
Capucine Lemaire : J’ai créé cet observatoire l’année de ma préparation au concours d’entrée à l’Ena. Il était fondamental pour moi au regard de mon expérience personnelle du handicap de m’engager bien sûr. Mais, après avoir vu de façon très précise les rouages politiques français, européens et dans le reste du monde pendant cette préparation, il était évident qu’il fallait créer une organisation indépendante très différentes de celles qui traversent depuis des années le « monde » du handicap. En 2019, le cursus philanthropique que j’ai suivi à Stanford avait déjà révélé ce besoin que j’avais d’appuyer une stratégie efficace pour cet enjeu humain majeur qu’est le handicap. Un enjeu qui mérite une action de lobbying massive, organisée, tournée vers l’innovation démocratique, la technologie, la culture et le droit commun. Pour cela, nous veillons, nous innovons et nous construisons une politique pour tous, en dehors de toute dépendance gouvernementale et des partis politiques. C’est un travail politique au sens noble et premier du terme, à la lumière des pays avec lesquels nous échangeons et des membres de notre comité scientifique organisé en commissions.
En tant qu’historienne de l’Art, l’idée d’un musée dédié au handicap m’est apparu comme une évidence et j’ai la certitude que ce lieu sera une manifestation de ce que l’inclusion signifie vraiment. Un musée ouvert dans la Cité afin de rendre accessible les arts et l’histoire, au delà des normes. Un lieu pour tous. Vraiment, pour tous. Un format metaverse de ce musée créé au sein de notre fonds d’innovation entre cette année à la Handi Tech by French Tech. Je le crée grâce à ma formation récente en Virtual Reality à l’Université de Londres de manière à préserver notre indépendance et la richesse de ce lieu unique.
Club Italie-France : Malgré les annonces et la bonne volonté des institutions, peut-on parler d’une prise de conscience générale ou le handicap demeure encore un sujet “secondaire” ?
Capucine Lemaire : Soyons clairs. Je ne ferai pas un énième constat ennuyeux. Nous savons tous que le handicap ne profite pas comme l’écologie des memes intérêts mediatico-citoyens. Je dirais, pas encore. Et je profite exactement de l’immobilisme, d’une certaine instrumentalisation politique parfois et de misérabilisme teinté d’opportunisme pour travailler sur ce qui est caché, nié et inconcevable à priori. Nous collaborons avec les législateurs et avons l’opportunité de travailler avec de grandes écoles et de grandes entreprises , en un peu plus d’une année d’existence. La conscience est donc bien présente mais le modèle social et associatif existant est obsolète. Je l’ai perçu, nous l’avons analysé et nous permettons d’en sortir, en construisant des stratégies d’influence auxquelles prennent part les handicapés et dans la droite ligne de leurs besoins. Les décideurs politiques et économiques sont dans l’attente de nos recommandations et nous faisons usage de grandes précautions pour n’en donner que des précises et des viables. L’avenir nous regarde.
Club Italie-France : Que soit dans le transports ou dans les salles de sport les barrières architecturales constituent un des problème qui limitent la vie quotidienne des porteurs de handicap. Que faut-il faire selon vous ?
Capucine Lemaire : Il y a deux choses importantes à saisir lorsque l’on parle d’accessibilité. D’abord, nos infrastructures ont une histoire et il y a une mise en marge des handicapés dans tous leurs mouvements depuis la nuit des temps. Nos temps modernes n’y échappent pas : rien n’a été prévu. Pourtant, l’on choisit de repousser l’échéance de transformation ultime et par là nous refusons à des personnes de profiter d’une accessibilité réelle. Par ailleurs, les législations en cours ne sont pas respectées. Et quand les modalités pour une accessibilité sont posées en amont de toute nouvelle construction ou innovation, elles ne sont pas toujours faites en concertation avec des handicapés. Aucune loi ne l’exige. ’est l’intention politique qui peut tout changer, et qui peut décider d’un investissement financier probant et nécessaire. Bien sûr, vous pensez à l’Etat et vous avez raison. Mais, c’est aux entreprises, aux acteurs économiques de toute branche de se saisir de ces problématiques, avec les handicapés en conseillers éclairés. Nous pouvons faire pression sur le politique. Il suffit simplement de s’y mettre. Mieux encore, nous devons l’inspirer. L’observatoire constitue ce dialogue perspicace et l’on constate chaque jour que c’est une vision commune et faisable.
Club Italie-France : Le sport est un puissant moyen d’inclusion sociale mais aussi un remède efficace pour prévenir des pathologies comme l’obésité, le diabète et le maladies cardiovasculaire. Comment le milieu sportif est-il équipé pour répondre à cette demande ?
Capucine Lemaire : Nous nous sommes saisis de la problématique du droit au sport et c’est une voie d’innovation fantastique. Juridique et technologique. Le sport est un droit. Ici encore, les entreprises doivent se saisir de l’opportunité de s’adresser aux handicapés, aux polyhandicapés, mais aussi le milieu universitaire, et les équipes de recherche et développement pour adapter les machines et les sports eux-mêmes.
Club Italie-France : Le handicap représente une double exclusion : économique et sociale. Selon les statistiques fournies par les principales organisation internationales, le porteur de handicap vit souvent dans une situation au limite de la pauvreté car l’accès au travail reste un parcours de combattants. Comment peut-on réduire cet écart et améliorer la vie de millions de personnes qui vivent cette situation ?
Capucine Lemaire : C’est une notion philosophique qu’il nous faut aborder, par-delà les statistiques qui révèlent une réalité cruelle. Le handicap fait peur. Le handicap gêne lorsque l’on estime ce que « bien » vivre veut dire. Il gêne dans un monde tourné vers l’économie rentable et les stéréotypes que sont la réussite, le bonheur ou encore l’intelligence. C’est un biais psychologique qui prend racine au commencement de l’humanité. Une humanité qui se demande pourquoi le handicap existe, comment le guérir, comment l’éviter ou encore comment en faire un sujet de fierté. Prenons de la hauteur. Il n’est pas question de se demander pourquoi désormais, mais comment. Et cette réflexion ne doit pas démarrer du point de vue du handicap de l’individu, mais bien de celui de l’environnement, qui nous concerne et que nous construisions tous ensemble. Comment ne pas laisser des personnes relayées à des conditions spécifiques de vie, comment construire une société d’égaux, comment rendre la vie de chacun la plus indépendante possible au regard de son existence de citoyen et d’agent économique. Le handicap est un moyen pour tous de rendre compte des inégalités persistantes, des incohérences sociales liées au fait de ne pas être tout à fait utile.
C’est un sujet manifeste pour tous les créateurs les plus loquaces dans ce monde, des constructeurs automobiles aux ingénieurs de génie civile en passant par les professeurs et les législateurs. Il n’est pas question de laisser des personnes être à vie des militants énervés, des pauvres et des affamés de justice. Chacun de nous devra de toute manière s’en soucier, à un moment donné. Qui n’a jamais été cloué au lit, accidenté ? Qui ne vieillira jamais ? Personne.
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