Club Italie-France: Intervista Aurélie Jean - Opinion Leader

Aurélie Jean

Club Italie-France : Vous etes une femme scientifique, une numéricienne qui connait les algorithmes. En quoi votre travail consiste-t-il ? Comment crée-t-on un algorithme ?

Aurélie Jean : En pratique, je développe et j’évalue des algorithmes dans de nombreux domaines. Aujourd’hui je partage mon temps entre le conseil auprès de clients, d’un petit projet de recherche qui est en train de devenir une aventure entrepreneuriale, l’enseignement et l’écriture. La construction de l’algorithme dépend entre autres du type d’algorithme, et du type de problème à résoudre. On va par exemple définir une logique explicite  à travers des structures conditionnelles (arbres de décision) ou à travers des systèmes d’équations mathématiques. On va par exemple également utiliser des algorithmes d’apprentissage, statistiques ou sur réseaux neuronaux, pour lesquels on doit définir des ensembles de données dites d’entraînement. Puis le dimensionnement se fait au cas par cas en fonction de la discipline d’application de l’algorithme (ingénierie, médecine, sociologie, chimie, finance…), et du type de problème (impliquant ou non des données à caractère personnel par exemple).

Club Italie-France : Vous connaissez le monde de la tech. A votre avis, les femmes sont-elles suffisamment présentes dans ce milieu ?

Aurélie Jean : Bien évidemment pas assez. Les choses changent mais pas assez vite. Beaucoup d’institutions privées et publiques communiquent sur leurs actions, et agissent concrètement, pour attirer les femmes dans ce milieu, mais n’agissent pas encore suffisamment (et de ce fait ne communiquent pas) pour les retenir. La rétention est un vrai sujet aujourd’hui, même après 10 ans de carrière on voit des femmes ingénieures et scientifiques quitter le milieu. Les actions doivent venir de la société, des hommes ingénieurs et scientifiques qui sont nos meilleurs alliés, de l’école, du foyer, mais aussi de l’entreprise.

Club Italie-France : Quelle place pour l’intelligence artificielle post crise coronavirus ? Pourquoi en Europe le thème de l’intelligence artificielle effraie les citoyens ? Peut-être car nous craignons l’IA forte …

Aurélie Jean : En France j’ai remarqué une sorte de IA bashing dès le mois de Mars 2020. On pouvait lire dans les journaux que l’IA était incapable de prédire la pandémie, qu’elle était inutile… j’en ai d’ailleurs fait un article dans Le Point! Cet IA bashing a eu un effet dur sur la communauté, qui s’est accompagné d’une perte de confiance des citoyens dans les sciences à cause entre autres des nombreux débats bancals sur l’hydroxychloroquine. On a perdu nos repères. Cela étant dit, la création de plusieurs vaccins a changé la donne. Non seulement les sciences et la médecine en particulier, étaient mises au premier plan, mais aussi les gens découvraient que l’intelligence artificielle avait aidé dans le processus. Cette crise sanitaire et économique est également une crise de confiance dans les sciences. Elle souligne le manque de connaissances et de culture scientifique chez les citoyens, ce qui met à mal toute stratégie scientifique et médicale en temps de crise… Il faut expliquer encore et toujours et accompagner chaque individu dans son propre apprentissage.

Club Italie-France : Selon vous les modèles éducatifs européens sont-ils à la hauteur des défis technologiques et numériques qui nous attendent ?  Pourquoi nos modèles éducatifs sont-ils si difficiles à évoluer ? Ne risquons-nous pas de créer une génération d’illettrés numériques ?

Aurélie Jean : Difficile à dire car beaucoup de choses interviennent. Les modèles éducatifs ont toujours évolué dans l’histoire. Aujourd’hui ils évoluent (et vite) pour deux raisons principales: les changements sociétaux et les progrès technologiques font revoir les matières scolaires à enseigner à l’école, et la technologie elle-même influence les méthodes pédagogiques en classe et en dehors de la classe. Cela étant dit, le défi est grand en éducation car nous parlons d’enfants, d’élèves mineurs dont les données sont “sensibles” d’un point de vue éthique. De plus, il faut assurer une égalité dans l’accès aux mêmes outils et aux mêmes méthodes au risque de créer des inégalités sociales fortes. Enfin, cela engage des recherches d’institutions publiques et privées, qu’il faut absolument soutenir financièrement et pour lesquelles la translation vers le terrain sous formes d’expérimentations en classe, puis éventuellement par la création de startups EdTech doit être fortement encouragée. Il faut plus de flexibilité tout en garantissant l’égalité des chances ainsi que des facilités de déploiement de technologies à travers tout un pays par exemple.

Club Italie-France : Quel impact pourrait avoir le monde numérique sur la vie  politique et les démocraties ?

Aurélie Jean : Le monde numérique a déjà un impact positif et négatif. Positif car il permet de savoir ce qu’il se passe dans des pays aux libertés réduites à travers les réseaux sociaux par exemple. Positif aussi car le monde numérique permet aux citoyens de voter à distance aux USA et donc de limiter les inégalités d’accès au vote. Il a également un effet négatif à travers la manipulation des opinions politiques, la polarisation des débats encouragée par l’usage actuel des technologies de communication. Mais comme je le dis souvent, la technologie n’est pas responsable, les humains le sont. Cela étant dit, on s’accordera sur l’idée que les algorithmes de captologie et de matching de contenus sur les réseaux sociaux par exemple doivent être revus afin de contrecarrer ces effets. 

Club Italie-France : Selon un récent sondage, les italiens et les français ont plus peur de l’échec par rapport aux allemands. Avoir peur de l’échec est sans doute un frein dans une approche scientifique. Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour combattre la peur de l’échec ?

Aurélie Jean : Comme je l’ai écrit dans un récent article de Libération “L’ambition de réussir va de pair avec le courage d’échouer”, tout est dit (rires…). Échouer c’est apprendre, et apprendre c’est grandir plus rapidement en capitalisant sur ses connaissances accumulées par les expériences ratées ou réussies. Mon conseil aux étudiants serait le suivant: voyez l’échec comme un cadeau. Au prochain échec que vous vivez, asseyez-vous et écrivez sur ce que vous avez appris, ce que vous avez retenu sur ce qu’il faut faire et sur ce qu’il ne faut pas faire. Votre histoire sera alors transformée et vous serez fiers d’en parler.

Club Italie-France : La discrimination envers les femmes fait (malgré les progres) partie du présent. Quels conseils aimeriez-vous donner aux filles qui ont besoin de faire face à cet obstacle ? Comment faire en sorte que les jeunes filles puissent grandir en pensant qu’elles peuvent tout faire (et par exemple se rapprocher plus des matières scientifiques) ?

Aurélie Jean : Avec les sciences on peut tout faire ! Travailler dans quasiment tous les domaines. On a un impact fort en contribuant à mieux comprendre notre monde, et en résolvant des problèmes pointus parfois à grande échelle. De plus, les sciences restent le meilleur ascenseur social, j’en suis persuadée.

Club Italie-France : Selon vous, quelle pourrait être la prochaine révolution historique dans le domaine de l’AI ?

Aurélie Jean : J’observe beaucoup ce qu’il se fait dans la médecine prédictive.. J’ai moi-même un projet dans ce domaine!

REPRODUCTION RÉSERVÉE ©

Club Italie France - Capucine Lemaire
Docteure en Sciences et Entrepreneure
Daisy Boscolo Marchi - Club Italie-France - Manager
Interview réalisée par
Daisy Boscolo Marchi