Club Italie-France: André Vallini

André Vallini

“Je viens de finir le dernier livre de Maurizio Serra sur Gabriele d’Annunzio pour qui la France et l’Italie étaient « les deux sœurs latines.”

Club Italie-France : Votre famille est d’origine italienne, de quelle région vient votre père ? Quelle a été la présence de l’Italie et de la culture italienne dans votre vie ?

André Vallini : Natif de Bione, un petit village de Lombardie, dans les montagnes au-dessus du lac de Garde, mon grand-père André Vallini a fait la Première Guerre mondiale dans l’armée italienne, alliée de la France contre l’Allemagne. Il en est revenu mutilé avec un éclat d’obus dans la jambe et quelques rudiments de radio-électricité acquis sur le front autrichien. Issu d’une famille nombreuse de paysans pauvres, il décide, dans les années 20, de tenter sa chance en France, franchissant la frontière à Modane, au pied du mont Cenis, où il reste plusieurs semaines, le temps que les autorités lui délivrent ses papiers. Chaque fois que je passe par le tunnel du Fréjus pour me rendre en Italie, je regarde Modane en contrebas de l’autoroute et je pense à lui, dans son baraquement sans chauffage, ignorant jusqu’à la langue du pays où il venait d’arriver, ayant dû s’arracher à sa famille et son village. Ma sensibilité extrême au problème des migrants vient aussi de là.

Il est arrivé à Fures où étaient déjà installés des garçons de son village. Embauché au départ comme ouvrier d’entretien dans une tuilerie à Vourey, à côté de Tullins, mon grand-père est remarqué par un artisan électricien, M. Vial, sans enfant, qui, l’heure de la retraite venue, lui céda sa petite affaire. Il s’éprend de Rose Guichard, la fille d’un agriculteur du crû. A l’époque, la xénophobie ambiante fait regarder de travers ceux qui franchissent les Alpes pour « venir manger le pain des Français » comme le dira Fernand Raynaud dans un sketch fameux. Le père Guichard, lui, n’est pas de cet avis. « Il est Italien ? Quelle importance puisqu’il est honnête et travailleur ! » s’exclame-t-il quand sa fille lui fait part de ses projets de mariage.

L’un des moments les plus émouvants de ma vie politique fut sans doute cette cérémonie à l’ambassade d’Italie à Paris où je représentais le gouvernement français dont j’étais membre à l’occasion de la Fête nationale italienne et où j’évoquai la mémoire de mon grand père dans mon discours. De même que chaque fois que je me rends à Rome à titre officiel, comme ministre ou parlementaire, dans tout l’apparat et la solennité des palais officiels, je ne peux m’empêcher de penser à mes ancêtres, paysans pauvres des montagnes de Lombardie. 

L’Italie est omniprésente dans ma vie. D’abord dans mes lectures : de Pierre Grimal à Pierre Milza, j’ai toujours lu beaucoup d’ouvrages historiques sur la péninsule, depuis l’Antiquité romaine jusqu’à la période actuelle en passant par le Risorgimento et l’histoire du fascisme. Je lis aussi beaucoup de biographies : j’ai lu toutes celles de Mussolini bien sûr mais aussi de Verdi, de Cavour, Mazzini ou Garibaldi. Je viens de finir le dernier livre de Maurizio Serra sur Gabriele d’Annunzio pour qui la France et l’Italie étaient « les deux sœurs latines ». Et j’ai lu récemment celles des papes Benoît XV, Pie XI et Pie XII, et une biographie de Victor Emmanuel III, ce roi méconnu qui a pourtant régné près de 50 ans et connu les deux guerres mondiales. J’ai d’ailleurs une prédilection grandissante pour la période qui va de l’unité italienne à la Première Guerre Mondiale.

La politique italienne actuelle m’intéresse bien sûr beaucoup et j’apprécie évidemment tout ce qu’écrit Marc Lazar. Je suis abonné à la revue de presse de l’Ambassade de France à Rome. Lorsque j’étais étudiant à Sciences-Po, l’un de mes rêves était d’ailleurs d’être correspondant du Monde à Rome, je crois que c’était à l’époque Robert Solé.

J’ai aussi une passion pour le cinéma italien, avec une belle collection de films des années 50 à 80. J’ai la chance d’être l’ami de Jean Gili qui est une référence mondiale dans ce domaine et qui me fait découvrir de nombreux films jamais distribués en France. Ce ne sont pas tous des chefs-d’œuvre mais ils racontent l’Italie de l’après-guerre. Marqué par ces films italiens des années 50 et 60, je cédai, dès l’âge de 18 ans, à la tentation d’un vieux spider Alfa Romeo, rouge évidemment : affichant 180 000 kilomètres au compteur et acheté 6000 francs de l’époque, il rendit l’âme quelques mois plus tard…

Enfin, pour terminer sur cette question, et ce n’est pas très original, j’aime la cuisine italienne et à Paris comme lors de mes voyages à l’étranger, je privilégie toujours les restaurants italiens. Quant à mes vacances d’été, je les passe à San Felice Circeo, entre Sabaudia et Terracina, au sud de Rome.

“J’espère être comme le sont souvent les Italiens, quelqu’un qui ne se prend pas trop au sérieux tout en étant sérieux dans ce que je fais.”

Club Italie-France : Quels sont les aspects de votre personnalité influencés par vos origines italiennes ?

André Vallini : Comme de nombreux Italiens j’essaie de pratiquer l’autodérision et d’avoir du recul sur ce que je fais dans les fonctions que je peux exercer. En d’autres termes, j’espère être comme le sont souvent les Italiens, quelqu’un qui ne se prend pas trop au sérieux tout en étant sérieux dans ce que je fais.

Il y a un autre aspect de ma personnalité sans doute influencé par mes origines italiennes, c’est le goût du Beau. Chacun connaît l’esthétisme des Italiens, notamment dans les villes, y compris les plus petites, ou l’on trouve toujours une piazza aux proportions parfaites, une superbe église ou un palais de la renaissance.

Je suis sensible aussi à l’élégance vestimentaire, notamment masculine, sans oublier le design : les meubles ou l’électroménager par exemple et bien sûr les automobiles. Je pense aux grands carrossiers que sont Pininfarina ou Bertone et je comprends que l’on puisse comparer parfois une Ferrari ou une Lamborghini à une œuvre d’art.

Enfin, et c’est le plus important, bien sûr le sens de la beauté des Italiens s’est exprimé d’abord, et depuis des siècles, dans la peinture, depuis Cimabue et Giotto jusqu’à Botticelli ou Raphaël. On dit que l’Italie est le pays qui compte à lui seul la moitié des œuvres d’art du monde entier. Pour ma part, je suis toujours très intéressé par la vie quotidienne et les méthodes de travail de ces immenses artistes. Je suis notamment fasciné par Michel-Ange qui se définissait d’ailleurs davantage comme un sculpteur que comme un peintre, par le Caravage aussi dont la vie tumultueuse est en rapport avec la révolution qu’il a provoquée dans la peinture. Dans ce domaine artistique, je me nourris depuis longtemps des ouvrages de Dominique Fernandez que j’ai la chance de voir régulièrement et qui m’éblouit toujours par l’immensité de ses connaissances : peinture et sculpture mais aussi littérature et musique, il connaît tout de l’Italie, de Venise jusqu’à la Sicile, et pas seulement de l’Italie d’ailleurs.

Club Italie-France : Quels sont vos endroits préférés en Italie ?

André Vallini : Il y en a des centaines, dans la mesure où quand que je découvre une ville ou un village, je tombe souvent sous son charme. Je suis bien sûr sensible à la mélancolie qui se dégage des grands lacs de Lombardie comme au charme de la campagne romaine ou l’on voit des troupeaux de brebis paître au milieu des ruines de la Rome antique. J’aime aussi flâner dans Rome autour du Campo dei Fiori, me perdre dans les ruelles de Venise loin de la place St Marc, déambuler dans Naples comme à Sienne, ou admirer les paysages de l’Ombrie depuis Todi ou Perugia. La Sicile a une beauté âpre et particulière et j’aime, pendant mes vacances, aller à Sperlonga et à Gaeta ou sur l’île de Ponza.

Mais j’aime aussi beaucoup découvrir des petites villes de province qui me surprennent toujours par la richesse de leur patrimoine bâti, le plus souvent intact et qui fait la fierté de leurs habitants : le fameux « campanilisme » italien n’est pas seulement l’expression d’une résistance au pouvoir central de Rome, après tout bien récent, c’est aussi et d’abord un attachement viscéral à sa commune, parce qu’elle est bien sûr le premier lieu de socialisation après la famille sacro-sainte mais aussi parce qu’elle est souvent très belle et qu’on en est fier. J’ai un faible pour Priverno, petite ville entre Rome et Naples dans la provincia di Latina, avec laquelle j’ai jumelé ma ville natale de Tullins lorsque j’en étais maire.

Club Italie-France : L’Italie et la France sont deux partenaires économiques essentiels. Comment peut-on renforcer leur collaboration et être plus fort ensemble ?

André Vallini : J’espère que les difficultés auxquelles on assiste aujourd’hui dans les relations franco italiennes dues notamment aux outrances de Matteo Salvini n’impacteront pas durablement la coopération transalpine même si elle est parfois compliquée comme en témoignent les difficultés actuelles dans le domaine des télécommunications et de la construction navale.

Club Italie-France : Le Made in France et le Made en Italy sont connus en Europe et dans le monde entier. Les eurosceptiques et les populistes souvent se réclament de vouloir protéger le « Made in », menacé par la mondialisation et la libre circulation des marchandises. Mais n’est-il pas vrai que le « Made in » prend tout son sens seulement si nos produits peuvent être exportés en Europe et dans le monde ? Ne s’agit-il pas d’une incohérence ? Si oui, comment sensibiliser l’opinion publique sur cette incohérence ?

André Vallini : Le « made in France ou in Italie » n’est pas contradictoire avec l’ouverture sur le monde. L’histoire longue montre que le protectionnisme est mortifère mais l’histoire récente montre que le libre échangisme non régulé peut l’être aussi. C’est en fait au niveau européen que cette régulation devrait avoir lieu aussi bien avec la Chine qu’avec les Etats-Unis de Donald Trump.

“La cohésion européenne est en péril et elle est même déjà ébranlée par la politique des gouvernements du groupe de Višegrad (Pologne, République Tchèque, Hongrie et Slovaquie) qui ne voient trop souvent l’Europe que comme un grand marché ou pire encore comme un guichet à subventions.”

Club Italie-France : L’Italie et la France sont à l’origine de la construction européenne. Aujourd’hui l’Italie a un gouvernement de mouvance eurosceptique et populiste. Pensez-vous que la cohésion de l’Union européenne soit en péril ?

André Vallini : Oui hélas la cohésion européenne est en péril et elle est même déjà ébranlée par la politique des gouvernements du groupe de Višegrad (Pologne, République Tchèque, Hongrie et Slovaquie) qui ne voient trop souvent l’Europe que comme un grand marché ou pire encore comme un guichet à subventions. Or l’Europe, c’est d’abord un continent sur lequel nous avons érigé depuis une cinquantaine d’années, une construction politique, unique dans l’histoire du monde, sans guerre ni conquête militaire et basée sur des valeurs au premier rang desquelles l’humanisme et le respect des droits de l’Homme.

Club Italie-France : Le thème de l’immigration a exacerbé les tensions entre l’Italie et la France, et les faiblesses de l’Europe en général, prise entre sa vocation humaniste et sociale et un évident repli sur soi-même. Plusieurs pays de l’Union Européenne se sont dotés de gouvernement populiste, à l’instar de l’Amérique de Trump et de la Russie de Poutine. Quelle est votre position et votre vision pour l’Europe ?

André Vallini : Je crois de plus en plus à la nécessité d’une Europe concentrique dotée de plusieurs périmètres de compétences, comme c’est déjà le cas pour l’euro et pour l’espace Schengen. Il faut notamment bâtir une véritable Europe de la défense sur laquelle j’ai corédigé un rapport au Sénat en 2013 et bien sûr approfondir l’intégration budgétaire et fiscale des pays de la zone euro.

Club Italie-France : Le clivage gauche/droite a fortement évolué sous l’égide d’Emmanuel Macron. Y a- t-il encore une France de droite et une France de gauche en 2018 ? Et Une Europe de droite et de gauche ?

André Vallini : Les deux clivages, qui se recoupent souvent, entre conservateurs et progressistes d’une part, et entre libéraux et sociaux-démocrates d’autre part, structurent la vie démocratique de la plupart des pays sur l’ensemble des continents et ce n’est pas une élection française, conjoncturelle par définition, qui peut remettre en cause cette vérité historique. Les professionnels de l’opinion publique sont d’ailleurs formels : dans tous les sondages réalisés sur ce sujet, les personnes interrogées n’hésitent pas une seconde à se positionner sur une échelle de 1 à 10 pour fixer leur appartenance à la gauche ou à la droite…

Club Italie-France Vous avez plusieurs fois revendiqué le fait d’être toujours fidèle au socialisme. Pourtant aujourd’hui, en France, en Italie et en général dans l’Union Européenne, il n’est pas facile de trouver une alternative de gauche qui puisse convaincre l’opinion publique. Pensons aux résultats décevants du Parti Socialiste Français en 2017, ainsi qu’à la défaite du Parti Démocrate en Italie aux récentes élections. Selon vous, dans un contexte où le populisme et l’individualisme recueillent un fort consensus, sur quelles valeurs ancrer les partis de Gauche et la social-démocratie ?

André Vallini : Au-delà des vicissitudes électorales, le socialisme doit toujours s’ancrer dans ses valeurs historiques, au premier rang desquelles la défense des libertés, la lutte contre les injustices, la réduction des inégalités, la priorité donnée à l’émancipation individuelle et à l’égalité des chances par l’école, le rôle de la puissance publique pour contenir les intérêts privés, la nécessité d’une régulation économique pour maîtriser le capitalisme, l’importance des services publics, et la nécessité d’une protection sociale inclusive et de la solidarité avec les plus faibles…

“Diminuer le nombre de députés et de sénateurs aboutira donc à affaiblir numériquement mais aussi politiquement la représentation du peuple par ses élus.”

Club Italie-France : En Italie et en France, quand on aborde le sujet de la réduction du nombre des députés, on obtient inévitablement le consensus des électeurs. En effet, Matteo Renzi l’avait proposé, Emmanuel Macron la propose également. Vous y êtes opposé. Pourquoi ? L’importance et la puissance d’un Parlement dépendent-elles vraiment d’un nombre élevé de députés ?

André Vallini : Parmi les réformes constitutionnelles annoncées, celle qui semble recueillir le plus d’approbation populaire est la réduction du nombre de parlementaires. Ce n’est pas étonnant tant l’antiparlementarisme est ancré dans notre pays : c’est à cause de lui que le bonapartisme a prospéré à deux reprises, que le boulangisme a failli emporter la République en 1889, que les ligues factieuses l’ont ébranlée en 1934 ou que la vague poujadiste a déferlé à l’Assemblée nationale en 1956. Il n’y a donc rien de nouveau dans ce nouvel accès de fièvre hexagonale, a fortiori quand la mise en cause du Parlement vient cette fois du sommet de l’Etat et prend appui sur le populisme, qui touche désormais l’ensemble du continent européen.

Il est à cet égard révélateur que l’exécutif, légitimement avide de succès électoral, envisage cette réforme par la voie constitutionnelle, alors que rien ne l’y oblige puisqu’une loi organique suffirait. Et plus révélateur encore qu’il envisage de recourir au référendum, puisque cette réforme vise en réalité à magnifier le peuple au détriment de ses représentants.

Deux questions méritent pourtant d’être posées : y a-t-il en France trop de parlementaires et quelles seraient les conséquences de leur diminution ?

La France ne compte pas plus de parlementaires que les autres démocraties comparables La France ne compte pas plus de parlementaires que les autres démocraties comparables : avec 925 députés et sénateurs pour 67 millions d’habitants, elle compte un parlementaire pour 72 500 habitants, ce qui nous situe dans la moyenne des démocraties comparables : Allemagne, Espagne, Israël, Italie, Japon, Norvège, Portugal, Royaume-Uni, Suisse…

La comparaison avec les Etats-Unis n’est pas pertinente puisque, outre-Atlantique, l’Etat fédéral coexiste avec des Etats fédérés, chaque Etat étant doté de son propre Parlement.

Un député français représente donc aujourd’hui 116 000 habitants, soit exactement le même nombre qu’un élu du Bundestag allemand. En Italie, on compte un député pour 97 000 habitants et, au Royaume-Uni, un pour 101 500 habitants.

Si l’Assemblée nationale était réduite d’un tiers comme c’est envisagé, chaque député représenterait environ 173 000 Français, soit près de deux fois plus que son homologue italien et une fois et demie plus que son homologue allemand. En outre, depuis 1962, le nombre de parlementaires (députés et sénateurs) est passé de 756 à 925, soit une hausse inférieure à la croissance démographique : en 1962, un parlementaire représentait 62 150 habitants, il y en avait un pour 67 400 habitants en 1973, un pour 69 500 habitants en 2008, contre un pour 73 000 habitants aujourd’hui.

Pour une population inférieure à 30 millions de personnes et avec un suffrage censitaire et masculin, les assemblées de la Révolution étaient nombreuses : la Constituante de 1789 comptait 1 145 membres, la Législative de 1791 et la Convention de 1793 en comptaient 745. Sous le Directoire et le Consulat, si on reste dans le même ordre de grandeur, c’est en passant au bicamérisme : 500 députés au Conseil des Cinq-Cents et 250 au Conseil des Anciens.

Sous l’Empire, le corps législatif tombe à 300 membres (plus une centaine de membres au Sénat) et pendant les Cent Jours, quand Napoléon veut libéraliser les institutions, il augmente la Chambre des représentants à 629 membres. A l’inverse, quand Louis XVIII rétablit la monarchie en 1815, la Chambre des députés ne compte plus que 400 membres. Plus libérale, la monarchie de Juillet élargit le cens, abaisse de 30 à 25 ans l’âge requis pour voter, double le corps électoral et augmente le nombre des députés à 459.

En 1848, avec l’instauration du suffrage universel, l’Assemblée nationale constituante est deux fois plus nombreuse : 900 membres. Et l’année suivante, l’Assemblée nationale législative en compte 705. Le coup d’Etat de 1851 suspend la vie parlementaire, qui reprend timidement, avec un corps législatif de 261 membres en 1852, et monte à 283 à partir de 1863, quand Napoléon III veut libéraliser le régime impérial. Nouvelle expansion démocratique en 1871 avec l’Assemblée de Bordeaux, qui compte 675 membres.

A partir de 1875, à l’âge d’or du parlementarisme, on retrouve un nombre de parlementaires supérieur à 800 : plus de 500 députés (545 en 1881, 613 en 1932, 615 en 1936) et 300 sénateurs en 1876. En 1940, Pétain suspend toute vie parlementaire. Puis, sous la IVe République, il y a 629 députés en 1951 et 594 en 1956. Leur nombre tombe à 576 en 1958, puis à 485 après la décolonisation, qui fait disparaître des sièges outre-mer. On remonte à 491 sièges en 1981 et à 577 en 1986.

L’histoire montre donc que chaque fois que la démocratie a progressé, le nombre de parlementaires a été augmenté. Et inversement, chaque fois que l’exécutif a voulu réduire le rôle du Parlement, il a réduit le nombre de parlementaires.

Diminuer le nombre de parlementaires ne les rendra pas plus efficaces, au contraire. Sans même évoquer le problème de la représentation équitable des territoires, quelle que soit leur densité démographique, des parlementaires moins nombreux auront en effet plus de difficultés à assurer leur fonction de contrôle de l’exécutif, qui est au moins aussi importante que leur fonction législative, a fortiori dans le cadre du parlementarisme rationalisé de la Ve République.

Les gouvernements de demain, quels qu’ils soient, n’auront en effet qu’à se féliciter d’un Parlement affaibli numériquement. Il en va de même, et peut-être plus encore, pour la haute fonction publique et, singulièrement, les administrations centrales, au premier rang desquelles les directions de Bercy : un vrai parlementaire se doit en effet d’être un empêcheur d’administrer en rond et il est le plus souvent perçu comme tel par les ministres, et surtout par les hauts fonctionnaires.  Moins il y a de députés ou de sénateurs qui demandent des comptes aux agents publics de leur administration, mieux cette administration se porte…

Dans ces conditions, la haute administration sera la dernière à se lamenter qu’il y ait moins de missions d’information, moins de commissions d’enquête, moins de délégations parlementaires, moins de rapporteurs budgétaires.

L’argument est fallacieux qui consiste à prétendre que des parlementaires moins nombreux seront mieux dotés et plus efficaces : il n’est en effet pas nécessaire de diminuer leur nombre pour attribuer plus de moyens d’action et de contrôle aux parlementaires. Et plus fallacieux encore l’argument du fameux coût financier des parlementaires : ni plus ni moins élevé qu’ailleurs, il est à comparer aux moyens considérables, et infiniment plus coûteux pour le contribuable, qui sont ceux des administrations et autres organismes publics au niveau national, dont il n’est pas inutile de mentionner aussi que les salaires de leurs hauts dirigeants sont sans rapport avec l’indemnité parlementaire.

L’argument des économies à faire sur la rémunération des parlementaires, s’inscrit en réalité dans la tradition de l’antiparlementarisme le plus éculé. Ce fut sous Louis XVIII, par la loi du 5 février 1817, qu’en réaction à la période révolutionnaire et impériale, fut voté le principe de la gratuité des fonctions législatives, qui perdura sous Charles X puis jusqu’à la fin de la monarchie de Juillet. Résultat : seuls les nobles et les bourgeois suffisamment fortunés pouvaient s’engager en politique, sauf à obtenir une pension ou une sinécure du pouvoir exécutif dont ils se rendaient alors dépendants.

La République, en 1848, mit fin à cette situation en prévoyant, comme un pendant nécessaire au suffrage universel, une indemnité journalière de vingt-cinq francs pour les représentants du peuple. On connaît la phrase du député Baudin, répondant à un ouvrier qui lui reprochait son indemnité parlementaire, lorsqu’il monta sur les barricades pour tenter de combattre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte : « Tu vas voir comment on meurt pour vingt-cinq francs », lança-t-il, avant d’être tué pour la défense de le République.

Le Second Empire, de nouveau, priva de toute indemnité les membres du Corps législatif, priés d’avoir une fortune personnelle. La République, après 1870, rétablit l’indemnité de 1848, voisine de 9 000 francs par an : vu l’évolution du coût de la vie à Paris, elle fut portée à 15 000 francs en 1907, si bien que les députés furent surnommés les QM, ou les Quinze-Mille, dans les milieux antiparlementaires.

S’il est consternant, un siècle plus tard, d’entendre encore cette vieille rengaine, il est de surcroît illusoire de penser que la réduction d’un quart du nombre des parlementaires réduirait mécaniquement de 25 % les budgets des assemblées : les retraites des anciens parlementaires, les traitements et retraites des fonctionnaires ainsi que l’entretien de bâtiments historiques de grandes dimensions sont autant de dépenses incompressibles , quel que soit le nombre de sièges à pourvoir dans les deux hémicycles.

Diminuer le nombre de députés et de sénateurs aboutira donc à affaiblir numériquement mais aussi politiquement la représentation du peuple par ses élus. C’est un choix lourd de signification, que la démagogie actuellement en vogue risque d’empêcher les citoyens d’apprécier avec clairvoyance.

Club Italie-France : Les débats sur la bio-éthique sont de plus en plus présents en Europe : pensons, par exemple, à la loi italienne relative au testament biologique ou au débat sur la GPA et la PMA qui s’est déclenché en France. Compte tenu de votre position de sénateur, catholique dans votre vie privée, comment est-il possible de trouver des réponses rationnelles et partagées aux questionnements de ce type ?

André Vallini : Il est difficile sur ces sujets d’avoir une réponse purement rationnelle; chacun, en tout cas c’est mon cas, doit s’interroger avec le plus grand respect de toutes les opinions qui s’expriment sur ces questions très difficiles.

“Je pense que c’est à partir des pays fondateurs de l’Union européenne et notamment l’Allemagne, la France et l’Italie que l’on peut envisager de renforcer la coordination des politiques économiques notamment pour stimuler la croissance.”

Club Italie-France : Dans les dernières années, on a beaucoup entendu parler d’austérité et équilibre budgétaires, ce qui semble avoir éteint toute la vitalité des économies européennes et les potentialités du marché unique européen. Pensez-vous qu’un nouvel axe franco-italien pourrait réveiller cette vitalité, stimuler la croissance et renforcer la coordination des politiques économiques ?

André Vallini : Il est évident que le nouveau gouvernement italien ne semble pas le plus enclin à développer ce que vous appelez un nouvel axe franco-italien. Nonobstant cette difficulté réelle mais conjoncturelle, je pense de plus en plus que c’est à partir des pays fondateurs de l’Union européenne et notamment l’Allemagne, la France et l’Italie que l’on peut envisager de renforcer la coordination des politiques économiques notamment pour stimuler la croissance.

“Je suis à l’origine avec plusieurs collègues de la création au Sénat d’un groupe de travail sur la condition animale : je pense en effet que l’humanisme du 21ème siècle doit embrasser l’attention portée à la souffrance animale.”

Club Italie-France : Votre mission au gouvernement (2014-2017) vous a permis de vivre des moments forts tels que votre rencontre avec le pape François à Rome, en 2014, votre intervention au Conseil de sécurité́ des Nations Unies en 2015 à New York ou votre déplacement en Irak dans les camps de réfugiés, à quelques kilomètres de la ligne de front contre Daech. Quels sont les thèmes qui vous sont chers et pour lesquels vous vous battez ?

André Vallini : Je m’investis beaucoup au Conseil de l’Europe notamment dans la commission des droits de l’Homme; je suis notamment allé récemment en Turquie en mission d’observation des dernières élections et je dois me rendre dans les prochains mois à Sarajevo en Bosnie, à Tbilissi en Géorgie et à Chisinau en Moldavie pour des missions similaires. Je suis aussi membre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie et j’étais récemment à Rome pour une réunion de la commission de la coopération et du développement avec les pays du sud.

Je suis aussi de près les projets de révision institutionnelle et je travaille actuellement dans une commission d’enquête sur les mutations de la haute fonction publique et notamment les conflits d’intérêt potentiels lorsque des hauts fonctionnaires partent dans le secteur privé.

Je suis à l’origine avec plusieurs collègues de la création au Sénat d’un groupe de travail sur la condition animale : je pense en effet que l’humanisme du 21ème siècle doit embrasser l’attention portée à la souffrance animale. Sans tomber dans l’extrémisme, on doit se demander au nom de quoi une espèce vivante, en l’occurrence l’espèce humaine, se permet d’infliger autant de souffrances, ou pire encore, la mort, à d’autres espèces vivant sur la terre. L’opinion publique est de plus en plus sensibilisée à ces questions qu’il s’agisse bien sûr de la corrida ou de la chasse à courre, mais aussi des conditions atroces des élevages industriels de bovins, de poules ou de lapins confinés à vie, l’émasculation à vif des porcelets ou encore le broyage des poussins vivants. Il faut en finir et plus que jamais nous devons nous souvenir de Saint-François d’Assise.

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Interviews du

3 Juin

Informations

Avocat de profession, André Vallini est sénateur de l’Isère.
Juge de 1997 à 2011 d’abord à la Haute Cour de Justice puis à la Cour de Justice de la République, André Vallini a été aussi maire de sa commune iséroise de Tullins à moins de 30 ans.
Club Italie-France: Chloé Payer - Team
Interview réalisée par
Chloé Payer